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La Revue Marché et Organisations consacre son dernier numéro au renouveau du transport et de la logistique et aux systèmes d'information.

Si beaucoup d'articles sont parfois un peu techniques, leur lecture s'avère toutefois fort stimulante. Il faut lire notamment l'article de Jean Coldefy, "Smart City : produit marketing, dystopie ou outil de décarbonation ?", dont nous rejoignons beaucoup l'approche.

 

Extraits (c'est nous qui soulignons) :

La smart city des grands groupes américains était une prolongation de leur propre logique d’organisation : un poste central de commande et de reporting, alors que le propre d’une économie de marché et d’une ville est justement de reposer sur des millions de décisions décentralisées, ce qui rend le système plus résilient d’ailleurs. Cette promesse d’une ville pilotable est certainement séduisante pour des politiques mais irréaliste et orthogonale avec ce qui fait une ville. Sans doute le goût français pour la centralisation des pouvoirs a-t-il été propice à cette vision qui n’a pas résisté longtemps à la réalité.

Une ville optimisée par l’instrumentation de ses fonctions servicielles publiques : mobilité, gestion des déchets, gestion de l’eau, … c’est sans doute dans cette acception que les progrès les plus importants ont pu être constatés. La promesse n’a cependant pu être totalement tenue par méconnaissance de l’organisation des villes et les impacts financiers et organisationnels de ces technologies, mal pris en compte, et en décalage avec les ressources mobilisables. Par ailleurs, le numérique s’adressant à l’individu, il peut avoir des logiques contradictoires entre l’optimisation d’activités individuelles et la préservation des biens communs. L’exemple le plus typique est celui de Waze, qui envoie le trafic routier dans des zones où il n’a rien à y faire, pour faire gagner du temps aux individus (la ressource rare par excellence) dans une quête de vitesse que rien ne devrait réfréner (?). Entre service à l’individu et préservation des biens communs, le numérique choisira toujours le premier, parfois au détriment du second. L’intérêt général n’est pas la somme d’intérêts individuels, le numérique l’illustre parfaitement.

Une ville plus accessible et participative par le déploiement d’objets connectés : l’idée était de coconstruire la ville par le déploiement d’applications permettant de signaler telle ou telle difficulté, d’accéder à des informations via des tags disposés dans la ville. Cette vision d’une ville société de services pose de réelles difficultés dans sa conception du rapport que devrait entretenir les habitants avec leur cadre de vie et la collectivité au sens large. Entre consommateurs de la ville et citoyens acteurs, où placer le curseur ? Enfin, le numérique est-il l’outil le plus adapté pour une ville plus participative ? On peut en douter au vu des retours d’expérience.

Aujourd’hui les termes à la mode ne sont plus smart city ou objets connectés, mais data, big data, blockchain, IA. Nous restons dans le même champ lexical et les mêmes catégories de pensée. Le contexte a cependant radicalement changé en 10 ans : le réchauffement climatique, la défaillance majeure de l’économie de marché, sont une exigence de long terme qui s’impose à nous. Nous avons l’impératif de décarboner nos modes de vie dans les deux à trois décennies qui viennent. Au-delà du marketing, la smart city et ses avatars, le numérique pour faire simple (en mettant de côté les gadgets), peuvent-il participer à l’écologisation de nos économies – pour reprendre l’expression d’Hubert Védrine – et donc des villes qui constituent le cœur de l’économie mondiale ?

Il convient à ce stade de la réflexion de revenir sur ce qu’est une ville. Fondamentalement, une ville, c’est le lieu où des inconnus vivent ensemble, à la différence des villages. C’est le lieu de la rencontre et donc des opportunités, de la sérendipité. Montesquieu écrivait d’ailleurs que « Les voyageurs cherchent toujours les grandes villes, qui sont une espèce de patrie commune à tous les étrangers ». Dans une économie de l’innovation, les villes sont au cœur de l’économie : elles sont le lieu où se concentrent les grandes entreprises, les petites et moyennes entreprises (PME), les universités, les collectivités locales dans une logique de réseau débordant largement de la simple limite physique de la ville, avec des hinterlands étendus. C’est ce magma interactif qui produit les innovations, suscite la créativité, dans un mouvement brownien. Il peut paraître paradoxal, dans cette compréhension de la ville, de croire que son informatisation permettra d’accroître son potentiel d’innovation et d’améliorer la qualité de la rencontre. Ce n’est pas en réduisant la ville à des processus que l’on informatise qu’on favorise l’innovation, la rencontre, la créativité. La ville intelligente, traduction française de la smart city, repose en fait sur un faux-sens : le terme intelligence en anglais signifie information (cf. l’acronyme CIA) et a été repris tel quel en français. Profitons de cette erreur, pour justement rebondir et espérer une ville plus intelligente, c’est-à-dire qui fasse sens pour les citoyens, où la technologie soit au service de buts communs, et non une ville qui soit au service de la technologie. Quels pourraient être ces buts communs ? A l’évidence la diminution des émissions de CO2 qui doivent, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), baisser de 40 % d’ici 2030 si l’on veut contenir le réchauffement climatique à +1,2 ° par rapport au début du 20ème siècle. Mais il y a d’autres enjeux collectifs. La ville, selon les urbanistes, outre le lieu des interactions sociales, c’est également des flux (donc la mobilité) et des formes urbaines. La smart city peut-elle contribuer à améliorer la mobilité, les espaces, le vivre-ensemble ? A l’heure de la rareté des fonds publics, de la bataille pour l’espace public (pour la mobilité, pour l’immobilier), de la nécessité de ne plus gaspiller et de tout recycler, les outils de la smart city permettent-ils de répondre à ces enjeux ?

Au final, la question n’est pas celle de la smart city, mais de la finalité qu’on souhaite lui donner. Les outils numériques ne sont que des outils. C’est aux politiques de donner le sens qu’ils doivent trouver dans un cadre de politiques publiques : une ville plus sûre, des ressources publiques optimisées, une ville fluide, etc., les options possibles sont nombreuses et diverses. Une smart city, pour quoi faire ? Quel bien commun cela contribue-t-il à accroîre ? Quels équilibres entre la gestion des ressources individuelles (notamment le temps) et publiques (CO2, espaces publics, fonds publics, qualité de l’air) ? Quel équilibre entre vitesse et lenteur ? Telles sont les questions que devraient traiter la ville intelligente. La question est donc celle de la méthode pour y parvenir.

Dans le domaine de la mobilité, il est clair que les outils de la ville intelligente peuvent contribuer à décarboner les mobilités, si l’on prend en compte les objectifs des différents acteurs et qu’on les hiérarchise selon les espaces et les temporalités : optimisation du temps pour les individus, accessibilité pour les politiques publiques, pérennité des modèles économiques pour les opérateurs de mobilité. La mobilité intelligente sera ainsi celle qui articule enjeux publics et individuels avec des financements soutenables.

 

L'article démarre par une évocation de l'article que nous avions écrit en 2011 dans la Revue Esprit sur "La nouvelle privatisation des villes". Ceux qui seraient intéressés pour le lire le trouverons : ici.

 

A ire également l'article "Design et développement d’un prototype de magasin connecté pour les petites entreprises" :

Dans une recherche positionnée à l’interface entre les articles managériaux et les articles techniques, Ygal Bendavid, Mohamed Wael Hachani et Samad Rostampour proposent le développement d’un prototype de magasin connecté, accessible pour les petites entreprises. Après la présentation d’une revue de la littérature sur les technologies RFID/IdO et leurs applications dans le secteur de la vente au détail, les auteurs exposent la démarche de recherche en science du design (design science) adoptée pour le développement de leur artefact/prototype de magasin connecté. La démonstration technique a permis de détailler le processus de design et de développement de l’infrastructure matérielle et logicielle de ce prototype. Il en ressort que les technologies RFID, comme standard dominant dans les magasins connectés, sont matures, stables, performantes et financièrement abordables. Au terme de cette recherche, les auteurs fournissent aux managers des éléments de discussion lors de la planification de tels projets de magasins connectés, à partir de technologies facilement accessibles sur le marché.

Technique, l'article ouvre notamment sur des sujets majeurs comme les liens entre commerce et numérique. Rappelons que le terme BOPIS, qui figure en bas à droite du tableau, est l'acronyme pour "Buy On line and Pick Up In Store", et signifie donc click & collect. Où l'on retrouve la question du trottoir et des rez-de-chaussée.

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