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A lire dans Libération d'aujourd'hui l'article que Sybille Vincendon consacre à la conférence organisée hier par Catherine Sabbah, d'IDHEAL : "Le plus grand architecte, c'est Bercy".

Extraits :

"Et si la fabrication du logement était d’abord une équation économique ? Cette interrogation a été posée ce jeudi lors de la première conférence «un chercheur, un acteur» de l’Institut des hautes études pour l’action et le logement (Idheal), laboratoire d’idées spécialisé sur le sujet. Alexandre Neagu, architecte et enseignant à l’Ensa de Montpellier et à Paris-Nanterre, est le chercheur. Jean-Raphaël Nicolini, promoteur chez Care Promotion, est l’acteur.

Entre le coût du terrain, de la construction, du crédit, l’apport personnel et les aides publiques, il est en effet plus souvent question d’argent que de talent dans la conception d’un immeuble d’appartements. Le résultat en découle. «Quand on examine quelques éléments de qualité sur le long terme, on constate que les pièces sont de plus en plus petites et leur distribution de plus en plus contrainte», déplore Alexandre Neagu. «En dix ans, la surface moyenne des logements a diminué et la qualité de ce qu’ont proposé les promoteurs a été assez inégale», ajoute Jean-Raphaël Nicolini. A quoi tient cette évolution ? A des facteurs surprenants.

La dictature du parking

Qu’est-ce qu’un appartement idéal ? Un espace traversant, avec des fenêtres à chaque bout. Pour cela, il faut que l’immeuble ne soit pas trop large. Pas trop «épais» disent les architectes. Or, «ces dernières années, les bâtiments se sont épaissis», note Alexandre Neagu. De 12 ou 14 mètres, largeur optimale, ils sont passés à 16 mètres. Pourquoi ? «Parce que c’est la largeur du parking.» Une bande de voitures garées en épi + une bande de circulation centrale + une seconde bande de voitures garées en épi = 16 mètres de large.

Pour qu’un appartement soit traversant dans un immeuble de 16 mètres de large, il faut qu’il mesure au moins 80 mètres carrés. Pas le produit le plus facile à vendre. Donc, dans les étages, on suit le modèle du sous-sol : un couloir central et des appartements en bande de chaque côté, «mono-orientés, et parfois plein nord», résume le chercheur.

«Le parking est généralement le poste de dépenses le plus important, confirme Nicolini. C’est idiot mais on conçoit le dessus à partir de ce qui se passe en dessous. Aucun promoteur n’est satisfait d’utiliser de l’argent pour couler du béton en sous-sol». Mais nombre de Plans locaux d’urbanisme (PLU), «absurdes», obligent encore à le faire.

Le «rendement de plan»

Certains plans d’immeubles sont plus rentables que d’autres. «L’idée, c’est que toute surface construite doit être une surface vendue», résume Alexandre Neagu. Vendue et utilisable. «En matière de surfaces construites, on est parfois confronté à des choses stupides, raconte Nicolini. L’exemple type, c’est le toit terrasse. Pour s’en servir, il faut que l’ascenseur monte jusqu’en haut. Donc, il va y avoir un édicule sur le toit. Avec l’édicule, le règlement considère que vous avez monté un étage supplémentaire. Donc vous préférez faire un véritable étage.» Et tant pis pour la terrasse.

Expliqué par le chercheur, le «rendement de plan» aboutit au modèle suivant : sur un même niveau, un long couloir desservant un maximum de «petites unités profondes et étroites (les appartements), avec très peu de circulations verticales (les ascenseurs et escaliers)». Serrés en rang d’oignon le long du couloir, «ces appartements se battent pour une petite portion de façade».

Dans le logement lui-même, cet arbitrage joue aussi. «On a eu tendance à supprimer les cuisines parce que la cuisine à l’américaine [ouverte sur le salon, ndlr] était un bon moyen de gagner de l’argent, explique le promoteur. Une cloison en moins, répétée à chaque étage, ça compte.»

«Une surenchère foncière»

Dans le bilan d’une opération immobilière, le foncier représente 25 % à 30 % du prix final, et plus de 50 % à Paris. «C’est effrayant de voir les bagarres de promoteurs sur des terrains ou lors des consultations, soupire Jean-Raphaël Nicolini, bien qu’il soit l’un d’entre eux. Il y a une surenchère foncière.» Les élus ont leur responsabilité dans cette évolution. S’ils n’ont mené aucune politique d’achat de terrain, le marché fait sa loi. Autre gros volet : les travaux, «40 à 50 % du poids des dépenses et c’est stable depuis dix ans».

Viennent ensuite deux postes : la «maîtrise d’œuvre», architecte et bureau d’études, et la commercialisation. Faut-il rémunérer davantage celui qui conçoit ou celui qui vend ? «Il y a des opérations dans lesquelles la commercialisation est essentielle, dit Jean-Raphaël Nicolini. Certains promoteurs vont payer plus cher la publicité que la conception.» Ainsi le «pure player» du métier est celui qui «construit le plus vite possible, vend le plus vite possible et s’en va». «Heureusement, ajoute Nicolini, j’en connais d’autres qui ne travaillent pas comme ça…»

Le leurre de la défiscalisation

Certaines opérations immobilières neuves donnent droit à une défiscalisation pour leurs acheteurs à condition de louer. Le dispositif porte généralement le nom du ministre du moment et depuis 1995, il y en a eu un dans chaque loi de finances. Quels logements ce mécanisme produit-il ? «Des petits appartements parce que la location est plutôt un marché de jeunes adultes, explique  le chercheur Alexandre Neagu. Et aussi parce que les logements sont calibrés selon les capacités d’investissement des acquéreurs.» De plus, l’avantage fiscal est plafonné à 300 000 euros.

Le système a mauvaise réputation. «Les gens achètent dans des villes qu’ils connaissent mal, dans des immeubles mal situés qu’ils ne visitent pas et ils se retrouvent avec l’appartement dans la position la plus ingrate», résume Alexandre Neagu. Mais le dispositif est indispensable à la profession : il peut représenter jusqu’à la moitié des ventes selon les années.

En fait, les «produits» de défiscalisation ressemblent au marché où ils se trouvent. Dans les zones les moins demandées, «les promoteurs produisent des logements de basse qualité», constate Alexandre Neagu.

«Collectifs plus soudés»

«Quand le foncier est contrôlé par la collectivité», en clair quand elle possède le terrain, «si l’aménageur est de qualité, on obtient des produits de qualité», dit Alexandre Neagu. Le cercle vertueux des bons professionnels en somme. Mais peut-on s’en contenter ? Comment intégrer les habitants ? Jean-Raphaël Nicolini croit à la vertu des espaces communs qui rajoutent une surface aux logements. «On demande aux gens ce qu’ils imaginent en faire. Certains veulent un lieu pour travailler, d’autres une chambre d’amis.» Et tous s’inquiètent de la gestion. Care Promotion conserve la propriété de ces lieux «pendant dix ans». «La copropriété voit que le promoteur ne va pas s’en aller», dit Nicolini.

Mais ce qui rend Alexandre Neagu optimiste, ce sont «les dispositifs d’autopromotion accompagnée. Ils entraînent des collectifs autrement plus soudés qu’une copropriété de gens qui ne se connaissent pas.» Ce n’est pas difficile. Et la loi, désormais, encourage ça".

Sybille Vincendon

 

La conférence est en replay : ici.

A lire également, sur les bureaux : "Des immeubles formatés par leur modèle économique".

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