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Dans la tribune que nous avons publiée dans le Cercle des Echos, nous avons rapidement défendu la nécessité d'articuler la conduite d'un projet en lien avec son montage opérationnel et financier. C'est une conviction forte, que nous développons ci-après.

Pour une approche intégrée du projet urbain

Traditionnellement, et trop souvent encore, la vérification de la faisabilité opérationnelle et financière d’un projet urbain vient après que celui-ci ait été conçu par l’urbaniste.

approche classique, oct. 2013

La difficulté survient lorsque le projet prend place sur de la ville constituée. En effet, le fait de reconstruire la ville sur la ville, par opposition à l’aménagement sur des champs de betteraves, rend plus complexe la fabrique de la ville (surgissent des problématiques de pollution, d’excavation de fondations, d’état du bâti, de délogements éventuels) en même temps que cela génère davantage d’incertitudes. Le renouvellement urbain a également pour conséquence de renchérir le coût de production de la ville : les coûts du foncier sont élevés – il faut souvent acheter du foncier occupé, verser des indemnités d’éviction et de relogement. De plus, il faut souvent dépolluer les terrains et construire des infrastructures de desserte. Ce surcoût du renouvellement urbain, s’il n’est pas nouveau, se combine désormais avec la contrainte financière née de la crise.
 En effet, cette dernière, qui touche la France depuis 2008, est également un puissant facteur de changement. Elle se traduit d’abord par des moyens financiers moindres : ceux de l’État et des collectivités locales s’annoncent désormais durablement sous-dimensionnés face aux enjeux urbains. L’enjeu est donc bien, dorénavant, de réaliser les grands projets d’aménagement sous contrainte financière.

Mais la crise, comme le renouvellement urbain, se traduit aussi par une incertitude accrue. Celle-ci touche en premier lieu les grands projets d’aménagement, dont le succès repose, in fine, sur la commercialisation de plusieurs centaines de milliers de mètres carrés de programmes résidentiels, mais aussi tertiaires, dans des localisations qu’il faut pouvoir transformer en « adresses » à même d’attirer les utilisateurs et les investisseurs. Cette incertitude devient une caractéristique majeure de la fabrique urbaine, qui oriente de plus en plus, on le verra, l’écriture même des projets urbains.

Le risque est alors, si l’écriture urbaine n’a pas tenu compte de ce nouveau contexte de fabrication des projets et si elle n’est pas articulée avec le montage opérationnel et financier du projet, de se retrouver avec un projet « beau » mais infaisable. On peut donner quelques exemples. Infaisable parce que le projet urbain supposerait de modifier totalement le parcellaire et la trame viaire, ce qui supposerait donc d’acheter tous les fonciers, et donc de ne pas pouvoir renoncer à l’acquisition d’un foncier qui s’avèrerait trop coûteux. Sans parler du coût d’achat et de portage financier de ce projet. Infaisable encore parce que le projet urbain supposerait des opérations-tiroir (par exemple, déplacer tel concessionnaire automobile de la parcelle A sur la parcelle B où sa localisation serait considérée plus acceptable) qui rendent là encore plus coûteux le projet (indemnités d’éviction, coût du relogement) et plus hasardeux et risqué en termes de temporalité (le phasage devient alors très difficile : il faut d’abord avoir acquis la parcelle B, délogé son occupant, avant de pouvoir aménager la parcelle A, sans parler des travaux viaires associés). Infaisable également parce, dans un tissu urbain vivant (ce qui est le propre des tissus urbains constitués), l’avenir n’est jamais écrit : telle zone de la ZAC est « gelée » par l’urbaniste de manière à maintenir l’entreprise présente sur le site, et voilà qu’elle décide de déménager ailleurs. On peut multiplier les exemples, qui sont réels, tirés d’opérations sur lesquelles nous avons travaillées.

Evidemment chaque situation est particulière. Dans certains cas, la trame viaire actuelle ou la trame parcellaire ne pourront pas être ré-utilisées. Mais de manière générale, il s’agit de composer avec le « déjà-là » et de penser le projet en fonction des contraintes opérationnelles. Sur l’île de Nantes, par exemple, les nouvelles voiries ont été créées de manière à éviter de se trouver à cheval sur deux parcelles existantes (il aurait fallu acheter les deux au lieu d’une seule !).

Notre conviction est que, désormais, seule une approche intégrée de la conduite du projet urbain est possible : la dimension opérationnelle et financière des projets doit être pensée en même temps et de manière articulée avec la définition du programme et l’écriture urbaine du projet. Il y a là un enjeu de faisabilité des projets, d’optimisation des projets (si le projet est « raboté » pour tenir dans une enveloppe financière, il sera moins bon que si cette contrainte financière a été intégrée dès le départ), mais aussi un enjeu d’optimisation de l’argent public. Et même de meilleure conception des projets urbains, dans la mesure où la contrainte financière peut être un aiguillon supplémentaire pour stimuler la créativé de l’urbaniste. C’est d’ailleurs pour cela que nous pensons que cette nouvelle approche des projets ne consiste pas à réduire la place de l’urbaniste, mais bien au contraire la renforce. Ce nouveau contexte plus contraint oblige l’urbaniste à être d’autant plus talentueux !

approche intégrée, oct. 2013

Un autre exemple d’approche intégrée concerne la conception des parkings. C’est un sujet-clef, à l’interface entre l’intervention de l’aménageur et celle du promoteur, qui bien souvent, conditionne la faisabilité des projets.

Pour de nouvelles postures dans la conduite du projet urbain

Au-delà de l’approche intégrée, nous pensons qu’il faut aborder les projets urbains différemment et que de nouvelles postures de projet sont nécessaires. Ainsi, au-delà des convictions que nous pouvons avoir sur ce qui fait la force d’un projet urbain (l’importance des espaces publics,…) et au-delà de la pertinence de la vision urbaine, nous avons trois convictions.

Première conviction : la plasticité du projet urbain, c’est-à-dire sa capacité à s’inscrire dans le temps long et à composer avec des enjeux multiples, est déterminante. Cela suppose notamment : un concept fort permettant de tenir le projet, la capacité à composer avec l’existant et les occupants en place, la capacité à composer avec les incertitudes, la capacité à dénouer les impasses, l’approche systémique. Cela suppose de passer de s’inscrire dans une approche centrée sur le processus : plutôt de que de proposer une image finie du projet, l’enjeu est d’établir une stratégie partagée avec les parties prenantes (collectivité locale, SGP, propriétaires initiaux, futurs opérateurs…).

Deuxième conviction : l’opérationnalité du projet, c’est-à-dire la capacité d’un projet à démarrer et à se mettre en œuvre, est essentielle. Elle suppose notamment de pouvoir penser le projet de manière phasée.

Troisième conviction : les modes de représentation doivent être adaptés, et permettre d’aider la maîtrise d’ouvrage à arbitrer et à décider. Au-delà des vues d’artistes et des maquettes, nous pensons qu’il faut privilégier des plans, des coupes, des schémas et des références. De ce point de vue, le plan masse doit surtout être un plan masse dynamique.
Pour aller plus loin : voir le site MIKADO

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