image_print

Le CAC 40 est désormais détenu à plus de 50% par des investisseurs étrangers. Comme le souligne Le Monde, ce basculement prend une coloration toute particulière au moment où Alstom s'apprête à passer sous pavillon américain, sinon allemand. Ce débat sur la nationalité des entreprises n'est pas sans rappeler les débats qui avaient agité la France en 2006, au moment du rachat d'Arcelor par Mittal. A l'époque, nous avions publié une tribune dans la revue Futuribles, qui, huit ans après, nous semble d'autant plus d'actualité que l'internationalisation des entreprises se conjugue désormais à la réduction drastique des dépenses publiques.

foreigncities, mai 2014

partcac40, mai 2014

Extrait :

Alors que les débats sur le patriotisme économique continuent de faire rage, rares sont ceux qui abordent un phénomène pourtant directement lié à l’internationalisation des entreprises, à savoir la dénationalisation des villes.

La question peut sembler incongrue. Paris est évidemment une ville française, autant que Berlin est allemande ! Et pourtant, quel drapeau la ville de Paris devra-t-elle hisser lorsque les gestionnaires de l’eau, des déchets ou des transports publics seront allemands ou chinois, lorsque les murs des prisons ou des hôpitaux, ou de l’Hôtel de Ville lui-même, appartiendront à des Britanniques et que des quartiers entiers d’habitation seront détenus ou gérés par des investisseurs espagnols ou indiens ?

Il ne s’agit pas là d’un scénario de fiction. Si l’on définit la ville comme étant, à la fois, un cadre bâti (définition physique) et un ensemble de missions de service public (définition institutionnelle), force est de constater qu’elle est de plus en plus le fruit d’acteurs étrangers. A Paris – mais c’est encore plus vrai à Londres – la part des investisseurs étrangers dans l’immobilier est croissante. A Dresde, l’une des plus grandes villes de l’est de l’Allemagne, la municipalité vient de vendre l’ensemble de son parc immobilier public (près de 50 000 logements, soit environ un tiers de la ville) à un fonds d’investissement américain. Aux Etats-Unis, en janvier dernier, six grands ports, dont celui de New York, ont été sur le point d’être gérés par une entreprise de l’émirat arable, Dubaï Ports World, avant que l’opérateur dubaïote n’y renonce sous la pression des parlementaires américains. Demain, qui sait si l’opérateur de Roissy ne passera pas sous pavillon étranger ? Et si la distribution de l’eau à Lyon ne sera pas assurée par la groupe italien Enel ?

Cette dénationalisation des villes s’explique par le fait que l’internationalisation des entreprises – doublée de leur concentration – intervient alors qu’elles s’affirment comme des acteurs significatifs de la ville. Pour diverses raisons, qui tiennent autant à l’influence des institutions européennes qu’à la diminution des moyens publics, de plus en plus d’activités jusqu’à présent assumées par des acteurs publics le sont en effet désormais par des acteurs privés.

Cette tendance à « l’apatriation », qui est à l’œuvre aujourd’hui, sera inéluctable si le débat continue d’être escamoté. Or, pour penser la dénationalisation de la ville, il faut déjà être en mesure de saisir la place des acteurs privés dans cette même ville. Mais c’est là, justement, que le bât blesse.

(…)

Enfin, le dernier enjeu est la mise en place d’une nouvelle gouvernance. Face à des entreprises qui sont davantage présentes et dont les logiques d’intervention évoluent, les collectivités locales doivent repenser leur rôle, à la fois pour encadrer l’action de ces entreprises et l’optimiser dans le sens des intérêts locaux. Il faut pour cela se détacher du mythologique espace-public-forcément-vertueux et admettre que la distinction public/privé est complexe : elle met en œuvre différents registres (activité / acteur / accessibilité) qui se chevauchent de plus en plus : le temps est révolu où, systématiquement, une activité d’intérêt général était à la fois maîtrisée et gérée par un acteur public et accessible à tous.

Une nouvelle ville est en train d’émerger. Le risque est qu’à l’appréhender avec des combats d’arrière-garde, on se réveille trop tard.

L'intégralité de l'article, paru en septembre 2006 dans le numéro 322 de Futuribles est téléchargeable ici.

Voir aussi :

schemaentcotees, mai 2014

Sources :
"Le CAC 40 a basculé sous le contrôle des investisseurs internationaux" - Le Monde - 30 avril 2014
"Ces entreprises sans drapeau" - Le Monde - 29 avril 2014
"Vers des villes apatrides" - Isabelle Baraud-Serfaty - Futuribles - Septembre 2006

image_print

Commentaires

Laisser un commentaire