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Nous avions eu la chance en 2015-2016 d'intervenir ponctuellement comme sous-traitant d'Acadie dans le cadre d'une mission réalisée pour la Société du Grand Paris réalisée par le groupement TVK / Acadie / Güller-Güller : "mission d’étude et de recherche sur la scénarisation des effets dans le temps de l’impact économique, social et urbain du Grand Paris Express".

Pierre-Alain Trevelo (le T de TVK) avait alors explicité la notion de scénarisation, qui "propose de s’inspirer du modèle des séries télévisées pour « scénariser » le projet urbain et sortir l’urbanisme des visions planificatrices dominantes".

Nous avions trouvé cette comparaison si inspirante que nous avions enregistré son verbatim dans nos archives (on peut le lire en fin de billet). C'est donc avec beaucoup de plaisir qu'on a découvert dans Métropolitiques l'article de TVK : "Futur ouvert : de la planification à la scénarisation".

Extraits :

L’urbanisme, discipline constitutivement tournée vers la prévision, l’organisation et l’aménagement, doit pourtant faire avec une dimension désormais incontournable : l’imprévisibilité. L’épidémie de Covid-19 est l’exemple le plus récent des bouleversements – crises économiques, renversements politiques, mouvements sociétaux, changement climatique et basculement environnemental – qui ne cessent de confirmer l’impossibilité de prévoir et contrôler le futur, comme le fait la planification traditionnelle. Partant de ce constat, nous avons commencé à expérimenter depuis 2012 une autre démarche de conception : la « scénarisation ». Son ambition n’est plus de maîtriser le futur en l’encapsulant dans un plan arrêté mais d’inclure l’imprévisibilité en travaillant avec le temps. Inspirée des méthodes d’écriture de scénarios de séries télévisées, cette recherche a débuté au sein du conseil scientifique de l’Atelier international du Grand Paris (AIGP) aux côtés de la coopérative Acadie. Parallèlement à ces études métropolitaines, nous avons expérimenté ce mode de conception à l’échelle opérationnelle de projets urbains : à Bruxelles pour la transformation de l’autoroute E40, à Marseille pour le renouveau des quartiers de Saint-Charles et Belle de Mai, à Dugny, Le Bourget et La Courneuve pour le village des médias des Jeux olympiques et paralympiques 2024, et à Paris pour le réaménagement de la Porte de Montreuil.

(...)

La scénarisation implique une attention très poussée à la situation existante du territoire. Un arpentage et un inventaire fins du site permettent de représenter ce qui forme la saison 0 : la matière première de la transformation. Cette scène d’exposition décrit l’état actuel du site, autant de ses composants matériels que de ses désirs. Elle est mise sur le même plan que les différentes saisons de projet qui en découlent, ce qui abolit la séparation entre l’existant et le projet. Elle n’est pas caricaturée comme un moment d’obsolescence d’une situation inadaptée et déjà reléguée dans le passé. Elle est au contraire représentée avec les mêmes codes graphiques que les saisons à venir, jusqu’à l’image de synthèse généralement réservée à la représentation du futur (figure 3). La saison 0 condense l’histoire du territoire étudié, la sédimentation des transformations antérieures, comme autant de saisons -1, -2, -3… que l’on pourrait tenter de reconstituer.

Sans attendre que tout un projet soit défini, l’écriture de la saison 0 favorise une réflexion sur l’opérationnalité immédiate, sur les transformations légères et réversibles à imaginer à partir des potentiels de l’existant. Ces premières actions forment la saison 1 et conduisent vers une amplification ou un accompagnement des usages et aménagements émergents. La succession des saisons et de leurs actions est incrémentale : les transformations s’additionnent, se superposent ou s’intensifient tout en conservant leur autonomie.

L'article dans son intégralité peut être lu sur le site de Métropolitiques : ici.

Et aussi :

Article de la Coopérative Acadie présentant la mission : ici.

Notre verbatim, à l'époque, des propos de Pierre-Alain Trevelo explicitant la notion de scénarisation, et qui d'une certaine manière constitue un résumé de l'article dans Métropolitiques :

Je vais expliquer ce terme barbare de scénarisation. Il y a aujourd’hui énormément de façons de faire de l’urbanisme. Mais comment on arrive à réellement questionner ou remettre en cause le mode dominant de pensée des systèmes urbains installés, historiquement installé, la planification ? La planification, qui est très française, et très savante, devient de plus en plus, dans la façon dont la ville se transforme, déconnectée de la réalité et de l’ordre de la prophétie autobloquante. On serait déjà soulagé. On aurait énoncé quelque chose de si complexe et si loin de nous qu’on ne sait pas donner le chemin pour y arriver. Bien sûr, la planification est consciente de ces faiblesses et a inventé un phasage qui est une sorte de rétro-planning : je vais décomposer, de manière technique, le temps, et commencer par faire ci, par faire ça. Le problème, quand on reprend le temps zéro à partir de cet objectif-là, c’est qu’on décompose une image finie.

La scénarisation, c’est le fonctionnement inverse. Il faut sans doute essayer de partir de la culture du chemin, cultures plutôt éloignées de nos approches occidentales. On part de ce qu’on a dans les mains aujourd’hui et on essaye d’avancer. « Scénario » est un terme très utilisé en urbanisme. Architectes et urbanistes sont sollicités pour faire des scénarios. Scénario A versus scénario B : ce sont des variantes de planification.

On ne voulait donc pas utiliser le terme scénario. D’où le terme de « scénarisation ». Il y a une image qui nous a servi dans des projets urbains, qui est celle de la série télévisée. Assez récemment, depuis une vingtaine d’années, des gens ont mis au point un mode de fonctionnement qui peut nous éclairer sur la façon de réfléchir à ce genre de sujet métropolitain.

D’abord c’est un fonctionnement collectif. Alors que la planification érige une hiérarchie. Il y a un groupe de scénaristes. On ne peut pas scénariser tout seul. A Hollywood, personne ne doit être en capacité de bloquer le système. On peut remplacer un scénariste par un autre.

Ensuite, on va mettre en place un cadre qui permet de mettre en place une histoire évolutive – cf. tradition de l’histoire orale. On part du temps présent, et on se donne un cadre qui nous permet d’imaginer, la bible, grand document général qui donne les fondamentaux de la série de n question, et un cadre temporel, qui s’appelle les saisons. Les saisons, c’est intéressant, car cela permet d’avoir une méthode de pensée dans le temps. C’est la primauté de la situation existante. Ce qu’on regarde c’est ce qu’on a dans les mains. Et cela renvoie à un point de vue d’urbaniste.

La pensée généralisée qu’on co-construit la ville sur la ville, qu’on doit faire avec le déjà-là, ne doit pas rester un voeu pieux. Il faut des méthodes qui partent de ce déjà-là. Il faut conserver très précisément ce qui existe. Plus la saison est loin de nous, plus elle est floue. La planification fonctionne à l’inverse. Ce que la planification va le plus précisément définir c’est ce qui est le plus lointain.
On va aussi imaginer en avançant ce qui pourrait se passer par la suite. Processus prospectif et rétrospectif dans le temps. Non pas : j’imagine ce qui va se passer et c’est ça qui va se passer. Mais : ce travail sur ce que j’imagine dans le temps m’informe sur ce que je dois faire maintenant. L’idée est que la structuration par saisons doit être une pensée dans le temps qui doit avoir autonomie et interdépendance entre les saisons. Imaginer la saison 1 : ce moment-là a une valeur en lui-même. Il ne doit pas être uniquement en attente de la saison d’après. Sinon la pensée du projet a toujours cette faiblesse structurelle d’être toujours en attente du moment d’après.

La saison doit reposer sur des fondamentaux : le moment sur lequel on travaille, il a une valeur en lui-même. Et en même temps, il doit penser sa relation au temps d’après, par ce qu’il a déjà une sorte de coup d’avance, il a déjà pensé sa capacité à imaginer ce que l’histoire va arriver.
C’est un peu flou mais innovant. Et à l’échelle du projet urbain ça produit des résultats. Le terme est un peu barbare mais j’espère l’avoir explicité un peu mieux.

 

Déjà, une approche pas de côté :

En ré-examinant, à l'occasion de ce billet, ce que nous avions fait dans le cadre de cette mission, nous nous sommes rendus compte que nous pratiquions déjà la méthode du pas de côté.

Un des séminaires (7 octobre 2015) que nous avions organisé réunissait en effet Christophe Midler, directeur de recherche CNRS au Centre de Recherche en Gestion et professeur responsable de la chaire Management de l’Innovation à l’Ecole polytechnique, et de Sihem Ben Mahmoud-Jouini, professeur associée au département MOSI (Management des Opérations et des Systèmes d'Information), qui enseigne le management de projet, les processus de développement de nouveaux produits et le management stratégique de l'innovation :

Les interventions de Christophe Midler et Sihem Jouini ont constitué un double décentrement par rapport à l’objet de la commande SGP. Un premier décentrement porte sur le secteur examiné : monde industriel versus grands projets urbains. Un second décentrement concerne l’approche : management de l’innovation et management de projet versus « scénarisation ».

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