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A lire dans Le Monde de ce jour le dossier consacré aux "colères planétaires".

Notamment, à propos du Liban :

Le ministre des télécommunications libanais, Mohamed Choucair, restera dans l’histoire du pays du Cèdre, l’homme par qui la « révolte d’octobre 2019 » est advenue. Son projet de prélever une taxe de 6 dollars mensuels (environ 5,40 euros) sur les appels passés via WhatsApp est l’étincelle qui a fait exploser la colère populaire. Comme un barrage qui craquerait sous la pression du courant, des décennies de frustrations et de ressentiments vis-à-vis de la classe dirigeante ont éclaté à l’annonce de ce nouvel impôt.

« On savait depuis des années que le Liban allait dans le mur du fait d’une accumulation de problèmes systémiques, explique Nadim Houry, directeur du cercle de réflexion Arab Reform Initiative. En septembre, plusieurs indices, comme les restrictions bancaires lors des retraits de dollars et l’exaspération de la rue face à l’incapacité du gouvernement à gérer les feux de forêts, ont montré qu’on s’approchait de la zone rouge. L’initiative de Mohamed Choucair est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. »

Car au Liban, plus qu’ailleurs, WhatsApp, qui appartient à Facebook, permet de s’affranchir des tarifs prohibitifs imposés par les compagnies de téléphonie locales. Une étude économique réalisée en 2018 par le cabinet de consultants américain McKinsey, à la demande du gouvernement, avait en effet conclu que les prix y étaient deux fois plus élevés que ceux pratiqués dans les pays environnants.

Toujours selon cette étude, ces montants garantissent aux deux opérateurs libanais, MTC et Alfa, une marge bénéficiaire avant impôt particulièrement importante, évaluée à 77 %, soit plus du double de la moyenne réalisée par les 50 principaux opérateurs mondiaux (30 %). « A cause de ces tarifs, WhatsApp est devenu une denrée de base, un élément indispensable au quotidien des Libanais, analyse Nadim Houry. Tout le monde l’utilise, partout et en permanence. Taxer WhatsApp, c’était comme augmenter le prix du pain. »

Le réseau est d’autant plus apprécié que la population libanaise est éparpillée dans le monde entier. Toutes les familles comptent un père, un oncle, un frère ou une sœur expatriés en Afrique de l’Ouest, en Europe, dans le Golfe ou en Amérique du Nord et avec lesquels l’application au logo vert permet de conserver le contact sans aucuns frais.

Plus largement, dans un pays confisqué par les promoteurs et les spéculateurs immobiliers, où les espaces publics se sont réduits comme peau de chagrin et où la parole sur les réseaux sociaux est de plus en plus contrôlée, WhatsApp apparaît comme un rare îlot de liberté. « C’est un espace d’expression digitale sans limites, observe l’urbaniste française Inès Lakrouf, qui réside à Beyrouth. Un lieu à la fois public et sécurisé, à l’abri de la censure, où l’on ose dire tout ce que l’on veut. Le projet de taxe a été perçu comme une atteinte au dernier carré de liberté individuelle. »

Ironie de l’histoire, à la manière de l’arroseur arrosé, WhatsApp, cible du gouvernement, est devenu l’outil de mobilisation numéro un des mutins. Un slogan à diffuser, un lieu et un horaire de manifestation à transmettre, une alerte à envoyer : quelques clics et c’est fait. Souple et rapide d’usage, WhatsApp contribue à donner au mouvement de protestation libanais son tempo si particulier. Il décuple la réactivité et l’inventivité des contestataires, deux atouts qui ont jusque-là empêché la classe politique de les coopter.

"WhatsApp, la taxe de trop pour les Libanais" - Le Monde - 9 novembre 2019

Egalement, un intéressant article de Bertrand Badie : "L'acte II de la mondialisation a commencé" :

Une douzaine de pays sont simultanément touchés par de vastes mouvements de contestation. Y a-t- il une dynamique commune ?

Incontestablement, même si chacun a des origines et des caractères spécifiques. Avec ces mouvements, c’est l’acte II de la mondialisation qui a commencé. Celle-ci, bien que trop souvent sollicitée comme explication passe-partout, me semble cadrer de façon très éclairante avec ce qui se passe actuellement. La mondialisation est en effet dominée par trois symptômes majeurs qui pèsent fortement sur ces mouvements. Le premier est l’inclusion : rares sont les peuples ou les histoires qui, aujourd’hui, restent en dehors de la scène mondiale. Le deuxième est l’interdépendance, qui est un peu l’antonyme de la souveraineté et qui favorise la diffusion et le renforcement mutuel des expressions collectives. Le troisième est la mobilité, qui assure la fluidité des rapports entre sociétés. Cela donne aux mouvements sociaux une importance toute nouvelle, faisant de l’intersocialité une dynamique majeure qui l’emporte désormais sur le jeu international classique, celui des relations entre Etats.

Les convergences entre les sociétés sont en train d’écrire l’histoire, en lieu et place des coopérations et des rivalités entre Etats-nations. Autant de changements qui ont aussi pour effet majeur de modifier le rapport entre le social et le politique. Autrefois, le politique était le « hard », le dur, et le social le « soft », le mou, le souple. Maintenant, et de plus en plus, le politique est instable, incertain, et le social est doté des capacités les plus fortes. Dans le nouveau face-à-face entre le politique et le social, ce dernier l’emporte largement : l’Iran est plus sérieusement défiée en Irak par les manifestations populaires que par la diplomatie américaine.

 

 

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