[Podcast-interview] Pedro, livreur de repas Uber Eats et Deliveroo (durée : 30 minutes)

Les plateformes de livraison de repas nous intéressent à double titre : d’une part, parce qu’elles utilisent de facto le trottoir pour exercer leur activité, à la fois le trottoir devant les restaurants et le trottoir devant les portes d’entrée des immeubles (sur le trottoir comme actif urbain avec le plus de valeur, voir notre capsule vidéo “21 minutes sur le trottoir” ou sa version podcast), d’autre part, parce qu’elles illustrent l’arrivée des plateformes numériques comme fournisseurs de services aux habitants des villes.

Ce matin, nous avons eu le plaisir d’interviewer Pedro (le prénom a été modifié, et il a préféré ne pas être photographié), étudiant en droit et livreur de repas Uber Eats et Deliveroo.

Le podcast (30′) est disponible ici :

 

Un très grand merci à Pedro pour cet échange passionnant !! Et n’oubliez pas : la prochaine fois que vous commanderez un repas à domicile, donnez un pourboire au livreur !

On a eu aussi un petit échange très intéressant sur les livreurs qui louent des comptes et qui se retrouvent à trois heures du matin devant le MacDo à Cadet, mais j’avais coupé le micro trop tôt ! Ce sera pour un prochain podcast, dans lequel Pedro nous parlera aussi de la manière dont un livreur de repas perçoit les rues et les trottoirs de Paris et la première couronne.

 

A lire ou écouter également :

Notre guide de promenades sur le trottoir.

Le récit dessiné : “Livreurs, l’autre prix de la course” : ici.

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Linterview par Fabien Clavier de Luc Andreani, Managing Director de Food Panda Singapore, sur : Q-commerce, Cloud Kitchens, Continuous Delivery, O2O, Super Apps : Ciitiesinmind – Episode 04 – The rise of q commerce. Ici sur Apple Podcast : ici.

 

Quelques extraits de l’interview avec Pedro retranscrits :

Extrait 1 : le vélo et le sac (6’36)

ibicity : Vous avez parlé du fait qu’à l’inscription, vous leur avez envoyé une photo de votre vélo. C’est quelque chose d’obligatoire ? Si vous n’avez pas de vélo, vous ne pouvez pas devenir livreur ? Et effectivement, on voit énormément de livreurs qui sont sur des Velib. Pourquoi ?

Pedro : Pour le vélo, une photo est obligatoire. Si vous décidez de livrer en scooter, ils vont vous demander la carte grise du scooter, plus d’autres documents administratifs. Pour autant, évidemment il y a des livreurs qui livrent en Vélib. Jusqu’à septembre 2020, c’était autorisé par Vélib. Ensuite, Vélib a émis une circulaire comme quoi il n’autorisait plus les livreurs, dans le cadre de leur activité professionnelle, à utiliser leurs vélos. Mais moi, je pense une chose, c’est tout simplement que la plupart des livreurs qui exercent n’ont pas forcément les moyens d’investir dans un vélo dès le début – un bon vélo c’est entre 200 euros et 300, bien entretenu, etc. plus le sac, le sac Uber Eats qui coûte 80 euros. Donc, ils commencent la plupart du temps en Vélib pour gagner de l’argent, et peut-être à terme, investir dans un vélo. C’est comme un pizzaiolo qui va louer son four, puis, quand il va commencer à gagner de l’argent il va acheter le sien. Je pense que c’est plutôt pour ça : le service Vélib, c’est un service flexible, il y a plein de points dans toute la ville, donc ça leur permet d’être autant disponible que quelqu’un qui a son propre vélo.

ibicity : Le sac Uber Eats de 80 euros, c’est vous qui l’avez acheté ? Vous avez aussi acheté le sac Deliveroo ?

Pedro : Le sac Deliveroo ? Non, je ne l’ai pas acheté puisque j’ai montré que j’avais un sac isoterme Uber Eats. On peut cacher les logos. Et puis de toute façon c’est un sac conforme.

ibicity : Vous n’êtes pas obligé de porter un sac au logo de la marque ?

Pedro : Non, pas du tout.

ibicity : Donc, on voit peut-être des chauffeurs Deliveroo qui, en réalité, sont des livreurs Uber Eats et inversement ?

Pedro : Oui, bien sûr. Il y a des sacs Picard. Du moment que c’est un sac isoterme qui est conforme, qui empêche soit la chaleur, soit le froid, de venir perturber la bonne température du repas, c’est bon.

 

Extrait 2 : pas de bonus pluie (8’45)

Pedro : Hier, je suis rentré de la fac. Il pleuvait, donc je me suis dit : bon, ce soir, j’ai eu une grosse journée, je ne vais pas forcément travailler. Quand j’ai vu que le ciel s’éclaircissait, tout simplement, je suis descendu, je me suis connecté. Et dans les dix minutes, j’ai eu une course.

ibicity : Il y a moins de livreurs disponibles les jours de pluie ?

Pedro : Forcément il y en a moins de disponibles. Après, c’est toujours plus attractif les jours de pluie, donc on sait que les jours de pluie, « ça va plus travailler », comme on dit, que les jours de grand soleil où tout le monde est dehors, etc. Donc c’est plus attractif les jours de pluie. Après ça m’arrive de livrer, j’ai livré sous 39 degrés lors de la canicule de juillet 2020, qui était un record. J’ai livré sous -15 au mois de février, j’ai livré sous des torrents de pluie qu’on a connu en mars, en avril, on est aujourd’hui encore aujourd’hui, en mai. Donc, je peux vous dire que oui, les jours de froid, les jours de pluie, évidemment, il y a plus de demandes

ibicity : Plus de demandes, cela veut dire que vous gagnez plus pour une course ?

Pedro : Non. En fait, ça arrive que Uber majore les courses. Pour autant, il n’y a pas de bonus pluie véritable, si vous voulez. Ca arrive que les soirs de forte demande, il y ait des bonus : plus un euro par course pour Deliveroo ou plus 1,5 pourcent par course pour Uber. Mais ce n’est pas systématique. C’est vraiment en fonction de la demande. La météo ne joue pas forcement sur la courbe de prix. Si vous voulez : une course qui vaut 4 euros sous la pluie, elle vaudra aussi 4 euros sans la pluie. C’est rare qu’il y ait une majoration.

 

Extrait 3 : devant les restaurants, puis chez le client (16′)

ibicity : Revenons maintenant sur un soir de course. Comment ça se passe ?

Pedro : Voilà, je reçois une livraison. On me donne l’adresse du restaurant. Je vais au restaurant.  Après j’ai l’adresse du client. Donc j’arrive au restaurant. Tout dépend de la distance, etc, j’arrive au restaurant. A ce moment-là, vous avez deux possibilités. Soit vous rentrez dans le restaurant, ce qui était la plupart du temps le cas quand vous étiez en période hors Covid : vous rentrez, vous accédez au serveur qui vous donne votre commande. Ou alors vous attendez dehors. Souvent vous voyez des petites fenêtres qui donnent sur le trottoir et on vous donne votre sac. À ce moment-là, soit tout se passe très bien, on vous donne directement la commande, donc vous donnez votre numéro de commande, on vous donne votre sac et vous partez. C’est super. Vous allez voir le client.

La plupart du temps, ça se passe autrement. Vous arrivez, donc on va dire qu’il est 20 heures, heure de forte affluence, le pic de la journée. Et vous avez, dans les restaurants les plus populaires sur l’application, vous allez avoir 10, 20, 30, 40 livreurs parfois. Devant les McDonalds, tous les soirs à 20 heures – je parle des gros McDonalds à Paris Centre – vous allez avoir une trentaine de livreurs, qui sont tous là avec leur téléphone tendu, et qui montrent à un seul serveur les numéros de commande. Donc le serveur se retrouve avec 30 numéros à 4 chiffres sous les yeux. C’est la cohue. Tout ça sur le trottoir, évidemment. Donc, à ce moment-là, vous avez une attente. Parce qu’à 20 heures, vous avez une centaine de commandes, parfois, et donc sur cent commandes, en une minute, il n’y en a pas cent qui sortent. Donc vous allez attendre 5, 10, 20, 30 minutes, par exemple. Il y a des livreurs, j’arrivais sur place, qui me disaient : regarde, ça fait 45 minutes que j’attends. Moi, j’annule les commandes si 45 minutes. Mais si vous annulez toutes les commandes qui sont un peu longues, vous en avez jamais. Donc il y a bien un moment où il faut attendre. C’est comme au parc d’attraction, il y a la queue partout, donc un moment, il va falloir faire la queue. Peu importe le temps que ça prend. Au bout de quinze minutes en moyenne, vous allez avoir votre commande. Miracle. Là, je reprends mon véhicule, je mets la commande dans le sac, je vais à l’adresse du client. Ça circule, etc.

Là, pareil, deux possibilités. Soit le client est en bas. C’est super, vous lui tendez la commande, vous la validez – sur Uber vous pouvez prendre la photo des commandes – parce que certains clients prétendent ne pas avoir été livrés, comme ça ils sont remboursés. Sauf que si un client dit « oui, il m’a pas livré », Uber dit « OK, on vous rembourse. Merci, désolé ». Voilà. Sans demander de preuve. Et il se retourne vers le livreur, et il dit : elle est où la commande ? Le livreur qui, la plupart du temps parle pas forcément très bien français, dit : « mais moi j’ai livré la commande ». « Non, non, arrête, suspension ». Une fois, 2 fois, 3 commandes pas livrées, c’est suspension

ibicity : Suspension, ça veut dire qu’on vous supprime votre compte ?

Pedro : Suspension : on vous suspend votre compte. Définitivement ou non. Mais quoi qu’il arrive, même si c’est temporaire, on parle de plusieurs semaines, plusieurs semaines sans gagner de l’argent. Donc quand vous faites entre 10 et 30 livraisons par jour, vous avez de fortes chances qu’une fois par jour, on vous dise : on m’a pas livré. Donc au bout de trois jours, souvent, vous prenez la photo de la commande comme quoi vous l’avez bien livrée et tout se passe bien.

Deuxième possibilité. Le client ne descend pas.

ibicity : Qu’est ce qui fait qu’il descend ou pas ?

Pedro : C’est sa bienveillance, sa bienveillance. Soit il descend, et tout se passe bien, c’est facilité, on évite les contacts dans le bâtiment, etc. Si vous voulez, je fais 30 commandes par jour, c’est à dire que je touche théoriquement 30 boutons d’ascenseur, 30 portes, 30 portes d’entrée, 30 digicodes. En cette période-là, c’est autant de risques de se contaminer. Donc, vous pouvez avoir le client qui descend, très bien, ça c’est des super clients. Ou alors des clients qui ne descendent pas, soit parce qu’il y a un enfant en bas âge et qu’il faut le gérer, après tout c’est la livraison. Mais à ce moment-là, soit vous avez sur le téléphone des instructions très claires (le code, c’est ça, l’interphone, c’est ça, on monte, etc). On va à la porte, tout se passe bien, on prend l’ascenseur. Il n’y a pas de souci. On peut monter. Je sais qu’il y a des livreurs qui montent, pas. Moi en fonction du créneau, je monte, ou alors je demande à la personne si je peux la mettre dans l’ascenseur, par exemple, pour gagner du temps.

Parce que si je prends une commande, pour refaire le cheminement, à 20H00, que j’attends au restaurant huit minutes, que j’ai cinq minutes de trajet, j’arrive chez le client à 20h15 déjà. Si je mets cinq minutes, et parfois je mets plus de temps dans le bâtiment que sur tout le trajet précédent, parce qu’à Paris ou même en petite couronne – je livrais hier à Courbevoie – c’est des immeubles où vous passez la porte, ensuite, il y a quinze bâtiments, dans les bâtiments, il y a des bâtiments derrière, il y a des escaliers et puis un ascenseur. Parfois, je passe plus de temps dans les immeubles que dans le processus précédent de livraison. Donc, là, vous montez, vous livrez à la porte du client, y’a pas de souci. Parfois, il n’y a aucune instruction. Le client n’est pas en bas, il n’y pas d’instruction. Donc, vous l’appelez, quand il y a un numéro. On va dire que la plupart du temps, il y a un numéro. Il répond, ou il ne répond pas. Parfois, il ne répond pas. Donc, vous vous retrouvez avec un client qui a commandé la nourriture, qui a demandé à ce qu’on lui ramène, qui a payé pour qu’on lui ramène, mais il répond pas une fois la nourriture. Bon, vous l’appelez une fois, deux fois, trois fois. Miracle, il répond. À ce moment-là, il vous donne les instructions.

Donc, il y a plein de cheminements possibles. Mais pour moi, une bonne livraison, c’est une livraison où j’arrive au restaurant, la commande est prête, je la récupère, j’arrive chez le client, le client est en bas ou alors il est tout de suite accessible par voie téléphonique, par voie d’’interphone, et je lui remets sa commande. Ça, c’est une commande super parce que je perds pas de temps. Et hop, j’en récupère une autre juste après.

 

Extrait 4 : notation et suspension (23′)

ibicity : Vous avez déjà donné quelques éléments de comparaison entre Uber Eats et Deliveroo. Quelles sont les autres différences ?

Pedro : Il y a plus de liberté sur Deliveroo que sur Uber. Uber, on est noté par le client, pas sur Deliveroo. Déjà, ça nous met moins de pression. Moi, j’ai déjà eu des mauvaises notes, parce qu’un client avait son repas froid, ou parce qu’il manquait des sauces. Bon, si le repas a attendu 15 minutes au restaurant avant que j’arrive parce que j’ai été appelé qu’au dernier moment, premièrement, ce n’est pas de mon fait. S’il manque des sauces, ce n’est pas de mon fait. S’il manque un double cheese, ce n’est pas de mon fait. Donc, si vous voulez, ils mettent la mauvaise note au livreur et au restaurant, comme ça ils notent mal tout le monde. Sauf que nous, au bout de 10 mauvaises notes sur Uber Eats, notre compte est suspendu là aussi. Or y a un pourcentage. On doit avoir entre 90 et 100% de bonnes notations. En dessous de 90, il y a un warning. Et si on reste trop longtemps en dessous de 90, suspension du compte. Et croyez-moi, c’est compliqué de maintenir ces 100% parce qu’on peut avoir 100 bonnes notes – c’est super, 100 bonnes notes. Si vous avez deux mauvaises notes de suite, vous avez déjà 98%. Ça peut très vite descendre. Je dirais qu’il y a plus de liberté sur Deliveroo.

 

Extrait 5 : évolutions en une année (26′)

ibicity : Entre le moment où vous avez commencé, il y a presqu’un an, et aujourd’hui, quelles ont été les principales évolutions dans votre pratique ?

Pedro : L’apparition du tarif affiché préalablement à l’acceptation de la commande. Ça, ç’a été quelque chose de pas mal. Et puis, je dirais : l’évolution due aux réglementations sanitaires. Le couvre-feu a fait que les gens commandent beaucoup sur une période donnée, entre 19 heures et 22 heures. Parce qu’avant, c’était un peu plus étalé. Il y avait entre 19 heures et moi je travaillais jusqu’à 3 ou 4 heures du matin, c’était étalé. Là sur un trait de temps très court, on a un nombre de commandes très élevé. Donc c’est bien, c’est pas bien. En tout cas, c’est un créneau horaire où on est très stimulé. Je dirais que c’est une évolution, que c’est une autre manière de travailler, c’est à dire que ce que je faisais avant entre 19 heures et minuit, je le fais entre 19 heures et 22 heures en termes de rémunération

 

Pour nos fidèles lecteurs qui se demandent où en est notre inscription comme chauffeur Deliveroo, eh bien, nous sommes toujours sur liste d’attente (régulation des livreurs) !