La cuisine : espace privé, commun, public ?

Nous avions déjà évoqué, lors de notre conférence “Qui disruptera le logement ?” pour Idheal en mars dernier, les fonctions qui rentrent et/ou sortent du logement et notamment la manière dont, au fil des siècles, la cuisine s’est alternativement trouvée à l’extérieur des logements (cf. les fours banaux du Moyen-Âge – dont certains subsistent encore dans certains villages – voir “l’évolution de la cuisine à travers les âges” ici), puis à l’intérieur, et peut-être bientôt à l’extérieur… si par exemple demain tous les habitants des villes mangent à la cantine ou se font livrer leur repas préparés dans des dark kitchens.

Sur ce sujet, voir l’exemple des villes asiatiques et l’article de Space 10 de 2019 : “Food and the Megacity: How Urbanisation and Technology Are Changing the Way China Eats“.  Et aussi le positionnement d’un opérateur comme REEF, qui se présente comme un “opérateur de la proximité” et propose d’installer des cuisines sur les places de stationnement (voir aussi ici).

 

De plus en plus, les questions d’alimentation s’invitent dans les réflexions sur la “ville de la proximité”, en lien avec les circuits courts, et posent la question des interdépendances et des échelles pertinentes pour penser les services urbains. Voir par exemple l’interview de Sabine Barles dans Millénaire 3 : “On ne peut pas penser la soutenabilité urbaine sans penser la soutenabilité de tout ce qui nourrit les villes” :

“Dans le cadre de travaux portant sur le système alimentaire de l’agglomération parisienne (…) la bonne échelle de soutenabilité en termes d’alimentation serait le bassin de la Seine, c’est-à-dire à peu près 70 000 km², à comparer avec la région Île de France qui représente 12 000 km². Pourquoi ? Parce que ce qui dégrade fortement la qualité de l’eau de la Seine aujourd’hui, c’est l’agriculture, et plus précisément une agriculture qui n’est pas tournée vers l’agglomération parisienne mais vers les marchés mondiaux. Si l’on prend en compte cette interdépendance majeure entre la production alimentaire et la qualité de l’eau, c’est à l’échelle du bassin versant qu’il faut penser la soutenabilité de l’alimentation de la région parisienne. On voit bien à travers cet exemple que l’on n’est pas dans l’idée selon laquelle l’alimentation doit être produite en bas de ma porte ! ».

Egalement, dans notre étude pour le Grand Lyon sur “la valeur du trottoir“, nous zoomions sur des nouveaux acteurs de l’alimentation en ville comme “La ruche qui dit oui” ou les plateformes de micro-compostage urbain qui prennent place désormais sur les trottoirs des rues, avec notamment les Alchimistes.

Dans ce contexte de futurs de villes au défi des multiples transitions, on écoutera avec d’autant plus d’intérêt le prochain atelier organisé par le Club Ville Hybride le 19 avril prochain. Le programme est à lui seul alléchant. Extrait de l’annonce du programme :

“La pièce de la cuisine : pourquoi elle contribue à la valeur d’usage du logement et beaucoup à la transition environnementale. Et comment faire mieux entre concepteurs, investisseurs, collectivités, aménageurs, bailleurs, gestionnaires et…habitants ?

Eléments sociétaux: pourquoi la pièce de la cuisine joue un rôle fondamental dans l’équilibre du foyer…et du quartier.

Alimentation/Santé: quelle relation entre la pièce de la cuisine et son territoire ?

Gestion des déchets: pourquoi faut-il renforcer la coopération entre concepteurs des logements et gestionnaires des déchets ? Quelle configuration des espaces pour optimiser le cheminement du déchet de la cuisine à…la voirie, la BAV, le compost, autre ? Quel rôle pour l’habitant ?

Energie/environnement: quelle est l’empreinte environnementale de la cuisine ? Pourquoi la pièce de la cuisine est-elle davantage liée à la prouesse culinaire qu’à la cuisine « simple » ? Quelles incidences sur les niveaux de performance des équipements… et l’augmentation des consommation d’énergie ?

Conception de la cuisine: la cuisine idéale existe-t-elle ? A quoi ressemble une cuisine qui se fonde sur les usages…d’une cuisine ? Quels sont les comportements types ? Quels aménagements prévoir en conséquence ?

En quoi la gestion des flux entrant-sortant de la cuisine est-il retransposable à d’autres pièces de la maison ?

Avec : Laurent Girometti, Directeur général, Epamarne ; Sylvaine Le Garrec, sociologue, étude « s’approprier un habitat neuf » ; Stéphanie Foucard, Directrice mobilisation et engagement, Citeo ; Achille Bourdon, architecte-urbaniste, Syvil ; Catherine Clarisse, architecte et maîtresse de conférence à l’ENSA Paris-Malaquais (« cuisine : recettes d’architecture » éd. de l’imprimeur) ; Aurélie Deudon, Responsable transitions sociétales, Icade Synergies Urbaines ; Alexandre Guilluy, Fondateur, les Alchimistes.

Présentation du sujet :

Pourquoi la pièce de la cuisine contribue-t-elle (ou pas) à la valeur d’usage du logement et à la transition environnementale ? La question peut paraitre saugrenue. Après tout la cuisine n’est qu’une pièce (ou plutôt de plus en plus la fusion de deux pièces pour « gagner de l’espace » : salon + cuisine). Pourtant, la pièce de la cuisine cumule aujourd’hui plusieurs manquements. Elle est peu propice au processus de recyclage des produits de toute nature. Pas assez fonctionnelle, elle incite peu au tri sélectif (il n’y a qu’à observer les pratiques en la matière dans son entourage). Trop petite, elle n’incite pas à acheter des produits frais en raison du manque de place (« les briques à soupe sont plus faciles à ranger qu’une botte de poireaux et de carottes » témoigne un habitant). Et on se met à regretter le sellier des anciennes maisons. Enfin, la plupart du temps sans fenêtre dans les logements neufs.

La pièce de la cuisine opère en fait comme un révélateur de nos carences collectifves, de nos approches en silos, alors qu’à l’heure de la transition environnementale il est impérieux d’avoir une approche transversale entre acteurs urbains (collectivités, concepteurs, aménageurs, promoteurs, gestionnaires, entreprises de services, « recycleurs »).

Avec comme conséquence un habitant au comportement pas suffisamment vertueux. Mais comment pourrait-il l’être davantage ? De surcroit 40% des produits mis dans le tri sélectif finissent tout bonnement dans des incinérateurs.  Parfois, le service du tri sélectif est sous-traité auprès de fournisseurs à l’échelle de l’immeuble. Mais qui sait ce qui est réellement traité et pour devenir quoi ?

En fait la cuisine agit comme un miroir grossissant du décalage entre la conception de nos cuisines et des enjeux qu’elle doit traiter : les flux entrant et sortant (eau, énergie, aliments, déchets). La transition environnementale implique toute une chaine d’acteurs dont un qui pourrait le devenir davantage : l’habitant. Celui-ci est défectueux dans ses pratiques et c’est toute la chaine qui devient inefficace (malgré les investissements conséquents dans les centres de retraitement). L sujet n’est donc pas que technique mais bel et bien comportemental.

Pourquoi par exemple les acteurs de l’énergie/environnement ne seraient-ils pas mieux associés à la conception des logements et des cuisines en particulier (principal pièce de flux d’une maison) ?

Le sujet de la pièce de la cuisine permet aussi de s’intéresser à la provenance de ce que nous mangeons et comment les aliments sont produits. De la proximité jusqu’aux antipodes, nos comportements alimentaires façonnent les paysages. Nous et nos alentours sommes ce que nous mangeons.
Si l’on partait de l’ « état de parfaite exploitation d’une cuisine », de l’habitant en somme, nos cuisines seraient surement très différentes et intégreraient mieux les nouveaux gestes vertueux du quotidien. Mieux intégrer le design en somme pour que les gestes deviennent automatiques et la transition environnementale un geste facile pensé collectivement et non un acte « héroïque » individuel.

Plus d’infos auprès du Club Ville Hybride : ici.

Dans un précédent billet sur le Docteur Lenoir assassiné dans la salle de bains, nous observions comment les pièces du Cluedo avaient évolué, avec le hall qui a été remplacé par la… salle de bains ! Question aux joueurs de Cluedo : si demain la cuisine disparaît, quelle pièce la remplacera ? Et le Colonel Moutarde sera-t-il toujours de la partie ?

A lire également notre billet : je téléphone à Mamie qui apparaît sur la porte du frigidaire !

A lire également (ajout du 6 juillet 2022) : “Fermentation et subsistance : Le monde contemporain au prisme d’une yaourtière” d’Alexandre Monnin, sur le site de Millénaire3

 

Addendum : tableau généalogique des cuisines, extrait de Catherine Clarisse : “Cuisine, recettes d’architecture”. Editions de l’Imprimeur. Paris 2004, distribué pendant la conférence.