Esthétique parisienne et comptes fantastiques

A l’heure où les controverses sur l’esthétique parisienne font rage, double devinette pour nos lecteurs joueurs : de quand date le texte dont quelques extraits figurent ci-dessous ? Qui en est l’auteur ?

Pour un citoyen de Paris, c’est une liberté grande de s’adresser à vous. Il est entendu qu’en tout ce qui touche leurs propres affaires, les Parisiens sont incapables, et que les gens du Cantal ou de la Lozère savent seuls ce qui nous convient. C’est pour cela que la majorité, dont vous êtes la fleur, n’a pas daigné ouvrir à un seul des élus de la ville de Paris l’accès d’une Commission qui tient entre ses mains notre présent et notre avenir. Je ne le dis pas, Messieurs, pour vous surfaire, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Vous pouvez, si vous le voulez, nous sauver de la catastrophe, à laquelle on nous conduit tête baissée ; mais si vous ne voulez ou n’osez, nous irons droit jusqu’au fossé.

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Nous sentons aussi que c’est peine perdue de regretter l’ancien Paris, le Paris historique et penseur, dont nous recueillons aujourd’hui les derniers soupirs ; le Paris artiste et philosophe, où tant de gens modestes, appliqués aux travaux d’esprit, pouvaient vivre avec 3,000 livres de rente ; où il existait des groupes, des voisinages, des quartiers, des traditions ; où l’expropriation ne troublait pas à tout instant les relations anciennes, les plus chères habitudes ; où l’artisan, qu’un système impitoyable chasse aujourd’hui du centre, habitait côte à côte avec le financier où l’esprit était prisé plus haut que la richesse ; où l’étranger, brutal et prodigue, ne donnait pas encore le ton aux théâtres et aux mœurs.

Les concessions se distribuent sous le manteau, par centaines de millions le principe de l’adjudication publique est relégué, comme celui de concours, parmi les mythes d’un autre âge. Quant à l’économie, le bilan de la Ville, que nous dresserons tout à l’heure, vous fera voir, Messieurs, que, sur ce point, l’instinct public demeure encore au-dessous de la réalité des choses. C’est là toute notre querelle avec notre préfet. (…) Embellir Paris, mais qui vous en empêche ? Etes-vous donc le premier qui y ait mis la main ? Tous les régimes n’y ont-ils pas travaillé l’un après l’autre, depuis tantôt quatre-vingts ans ? Mais vous n’embellissez pas, vous gâtez. Vous n’embellissez pas, vous démolissez, vous endettez vous écrasez le présent, vous compromettez l’avenir, et ce sera une des énigmes de ce temps-ci que de telles fantaisies aient pu se tolérer aussi longtemps.

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A la bonne heure ! et nous sommes aises que la Ville consente à la fin à le reconnaître. Si la Ville a payé le terrain de ses rues nouvelles plus cher qu’elle ne s’y attendait, c’est qu’elle a fait elle-même, dans Paris, et sur une prodigieuse échelle, la hausse des terrains. (…) Vous faisiez la hausse ; vous enflammiez la demande ; vous donniez à la spéculation sur les immeubles la plus colossale impulsion dont l’histoire ait gardé souvenir, et vous êtes surpris, en faisant votre compte, après dix ans d’aveuglement, de vous apercevoir que vous avez, comme tout le monde, plus que tout le monde, subi la hausse des prix !

Cela nous remet en mémoire une aventure que raconte je ne sais plus quel historien des banques. Des spéculateurs américains avaient résolu d’acheter tous les boeufs existants dans les Etats du Nord. La Banque des Etats-Unis étant dans l’affaire, l’opération paraissait aussi sûre que fructueuse. On acheta, on acheta tant que l’on put, mais, ô surprise ! à mesure qu’on achetait et que le bétail devenait rare, les prix haussaient. Et plus on achetait, plus montaient les prix. Ils montèrent tant et si haut, que la Banque des Etats-Unis elle-même n’y put suffire, et que la spéculation se solda par une perte immense.

(…)

Tel est le caractère général des griefs de la Cour des comptes (…). Ils sont précis, formels, nettement articulés, ils ont, sous la douceur des formes, toute la brutalité qui appartient aux chiffres. Mais ils n’ont pas le don d’émouvoir le dictateur de l’Hôtel de Ville. (…) Et puis, c’était pour la banlieue, qui ne pouvait attendre. (Pauvre banlieue ! elle attend toujours.)

(…)

Pour savoir si une ville comme Paris est, en réalité, riche ou pauvre, aisée ou gênée dans ses finances, il faut faire état d’abord de ses charges permanentes. Elles sont de deux natures : la dette, en premier lieu  ; puis le service municipal, les dépenses d’entretien de la capitale, le nécessaire de chaque jour : administration, police, garde de Paris, pavé, éclairage, instruction publique, bienfaisance, entretien des édifices communaux, service des eaux et des égouts, toutes choses non moins sacrées, non moins fondamentales, non moins permanentes que la dette elle-même.

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Pure chimère que cela ! Au vrai, la Ville atermoie, parce qu’elle serait, si elle n’atermoyait pas, au-dessous de ses affaires, parce que, semblable au fils de famille qui a mangé son bien en herbe, elle est, dès à présent, obligée d’emprunter pour vivre.

(…)

Les calculs que je viens de faire sur l’étendue des ressources actuellement disponibles de la ville de Paris sont en eux-mêmes irréfutables : on en pourra, suivant l’usage, critiquer quelque détail ; mais ils resteront debout, dans leur ensemble. Les financiers de la Ville porteront ailleurs leur effort. Ils diront que, dans ce bilan de la richesse municipale, on néglige l’avenir. L’avenir, c’est la plus-value des recettes, ou, pour parler plus exactement, la plus-value des produits de l’octroi, d’une année à l’autre.

Et voici les réponses :

Date de publication : 1868.

Auteur : Jules Ferry !

Source : “Les comptes fantastiques d’Haussmann” – Le texte peut être lu sur Gallica. Précipitez-vous !