Y aura-t-il un maire dans ma ville intelligente ?

Alors que Google vient d’annoncer la création d’une société, Sidewalk Labs, qui ambitionne “d’améliorer la ville”, la question de la gouvernance de la ville intelligente se pose avec d’autant plus de force.

sidewalks, juin 2015

Comme nous l’écrivons dans un article à paraître début juillet dans Raisonnance, la revue de l’Association Internationale des Maires Francophones :

maire ville, juin 2015

(…) “Le risque est grand que la collectivité ne devienne spectateur d’une fabrique et d’une gestion de la ville qui se feraient sans elle.

D’un côté, en effet, ce sont surtout les grands groupes privés qui se positionnent sur l’intégration des systèmes urbains (à l’étranger et, en France, via le lancement de « démonstrateurs » permettant de déroger aux contraintes juridiques actuelles). Et ce sont eux aussi qui prennent en charge aujourd’hui les nouvelles fonctions qui apparaissent dans la ville, comme par exemple celle « d’agrégateur d’effacement » – qui vise à agglomérer des potentiels de réduction des consommations lors des pics de consommation les plus coûteux et les plus polluants afin de leur donner une valeur économique.

De l’autre côté, les individus connectés en réseau déploient une puissance inédite face aux organisations publiques comme privées, qui bouscule leur rôle traditionnel, voire « marginalise et ringardise leur parole » (cf. la thèse de Nicolas Colin et Henri Verdier selon laquelle cette puissance de la « multitude » serait la loi explicative de l’économie numérique).

Pourtant, si la ville intelligente est source d’opportunités (promesse d’une ville plus économe tant en termes de ressources naturelles que financières via l’intégration des systèmes, le traitement des données et l’économie du partage, meilleure implication des habitants…), elle présente aussi des risques (mainmise de quelques grands acteurs privés, nouvelles formes d’exclusion, menaces quant à la protection de la vie privée…) et des ambivalences (par exemple, l’économie du partage relève-t-elle de l’échange gratuit ou de la marchandisation ?).

Dès lors, comment éviter que la collectivité ne se retrouve « dessaisie » de ses prérogatives 
dans le nouveau jeu de la fabrique urbaine ? Qui reste garant de l’intérêt général ?
 Si les collectivités veulent garder ce rôle de garant, autrement dit, si on veut que le rôle du maire subsiste, il importe qu’elles définissent leur stratégie « ville intelligente » : elles doivent construire des politiques publiques permettant de tirer tout le parti des opportunités du partenariat avec les acteurs privés et de la révolution numérique (exploitation, y compris prédictive, des données, dématérialisation des biens, information et pilotage en temps réel, zone de chalandise sans limite, industrialisation d’offres-sur-mesure…), tout en faisant en sorte que la ville intelligente soit une ville inclusive.

La question de l’accès aux données et de la réversibilité des systèmes d’exploitation est alors essentielle. Mais il y a aussi un autre enjeu, rarement mis en évidence, et qui est pourtant essentiel si l’on veut que l’accès à la ville soit possible pour tous, c’est celui du modèle économique de la ville : qui paye quoi dans la ville ?

(…)

Ainsi, l’éventail des payeurs de la ville s’élargit : aux trois payeurs initiaux (l’usager du service, le propriétaire, le contribuable), il faut désormais rajouter les usagers des autres services, les usagers d’offres enrichies, les usagers des heures embouteillées, les annonceurs, les propriétaires de logements trop grands, etc. Qui seront demain les payeurs de la ville (intelligente) ? Et qui en décidera : l’habitant, le grand groupe privé, ou le maire ?

(…)

C’est pour répondre à ce défi de la gouvernance de la ville intelligente que la Chaire Mutations de l’action publique et du droit public, dirigée par le Professeur Jean-Bernard Auby, et l’éditeur Berger Levrault ont créé le programme “La Cité des smart cities”. Voir le dossier de presse ici. Nous y interviendrons comme expert associé, aux côtés de :
Dominique Boullier, professeur de sociologie à sciences po
Karine Dognin-Sauze, vice-présidente innovation, métropole intelligente et développement numérique de la métropole de Lyon
Gwendal Le Grand, directeur des technologies et de l’innovation à la cnil
Éric Lesueur, directeur de l’aménagement et des nouveaux services urbains chez Veolia
François Richard, directeur d’orange smart cities.