“Tout cela parce que la Méditerranée est un très vieux carrefour”

Tunis. L’occasion de relire La Méditerranée de Fernand Braudel :

braudel, fév. 2015

Extrait :

“Tout cela parce que la Méditerranée est un très vieux carrefour. Depuis des millénaires, tout a conflué vers elle, brouillant, enrichissant son histoire : hommes, bêtes de charge, voitures, marchandises, navires, idées, religions, arts de vivre. Et même les plantes. Vous les croyez méditerranéennes. Or, à l’exception de l’olivier, de la vigne et du blé – des autochtones très tôt en place – elles sont presque toutes nées loin de la mer. Si Hérodote, le père de l’histoire qui a vécu au Vème siècle avant notre ère, revenait mêlé aux touristes d’aujourd’hui, il irait de surprise en surprise. Je l’imagine, écrit Lucien Febvre, « refaisant aujourd’hui son périple de la Méditerranée orientale. Que d’étonnements ! Ces fruits d’or, dans ces arbustes vert sombre, orangers, citronniers, mandariniers, mais il n’a pas le souvenir d’en avoir vu de son vivant. Parbleu ! Ce sont des Extrême-Orientaux, véhiculés par les Arabes. Ces plantes bizarres aux silhouettes insolites, piquants, hampes fleuries, noms étrangers, cactus, agaves, aloès, figuiers de Barbarie – mais il n’en vit jamais de son vivant. Parbleu ! Ce sont des Américains. Ces grands arbres au feuillage pâle qui, cependant, portent un nom grec, eucalyptus : oncques n’en a contemplé de pareils. Parbleu ! Ce sont des Australiens. Et les cyprès, jamais non plus, ce sont des Persans. Tout ceci pour le décor. Mais quant au moindre repas, que de surprises encore – qu’il s’agisse de la tomate, cette péruvienne ; de l’aubergine, cette indienne ; du piment, ce guyannais ; du maïs, ce mexicain ; du riz, ce bienfait des Arabes, pour ne pas parler du haricot, de la pomme de terre, du pêcher, montagnard chinois devenu iranien, ni du tabac. » Pourtant, tout cela est devenu le paysage même de la Méditerranée : « Une Riviera sans oranger, une Toscane sans cyprès, des éventaires sans piments… quoi de plus inconcevable, aujourd’hui, pour nous ? » (Lucien Febvre, Annales, XII, 29)”