Quand Canal+ se réinvente en tant qu’agrégateur

Canal+ ne fait pas (encore) partie des acteurs dont nous assurons la veille, mais l’alliance entre Canal+ et Netflix nous intéresse car elle permet de bien comprendre la figure de l’agrégateur, qui émerge notamment dans le champ urbain (cf. notre article “Qui sera le fleuriste de la ville intelligente ? Ou l’art de composer des bouquets de services urbains“).

 

Les faits :

“La chaîne cryptée va proposer tous les contenus du numéro un mondial du streaming vidéo dans une offre à 35 euros par mois au lancement. Celle-ci comprendra aussi les chaînes OCS ou encore Canal+ Séries. Netflix compte un peu plus de 6 millions d’abonnés en France”. (…) Un mariage de raison, surtout, entre les rivaux d’hier et nouveaux alliés d’aujourd’hui qui ont présenté un accord permettant à la chaîne cryptée de proposer l’ensemble des contenus du numéro un mondial du streaming vidéo, en France, à partir du 15 octobre, et ultérieurement sur les territoires couverts par Canal+. (…)

Pour Canal+, qui cherche à retenir ses abonnés et à en conquérir d’autres, alors que plusieurs services de SVoD (Disney, Apple…) vont arriver en France, l’enjeu est de proposer l’offre la plus complète et la plus haut de gamme. « Il va y avoir beaucoup de plates-formes, peut-être trop, nous ne voulons pas que le consommateur soit perdu dans un océan de programmes », a fait valoir Maxime Saada.

En ce sens, la chaîne a déjà noué des partenariats avec BeIN Sports et RMC Sport pour le football ou OCS dans le cinéma, et se mue de plus en plus en un point d’entrée et un super-agrégateur de contenus. Et Netflix est désormais un produit d’appel incontournable.

De son côté, Netflix fait le constat que pour grandir encore en France, où il totalise désormais un peu plus de 6 millions d’abonnés payants, il faut bénéficier de la force de distribution de Canal+. Il a déjà celle des opérateurs télécoms, ce qui lui a permis de dépasser Canal+ (4,583 millions) en volume d’abonnés individuels (mais pas en revenus). « Il y a dix mois, nous avons passé un partenariat semblable en Grande-Bretagne avec la chaîne Sky et c’est un succès », a confié Reed Hastings au cours du déjeuner. Reste que Canal+ et Netflix ont mis du temps à s’allier. « Quand vous êtes encore une petite société, vous êtes inquiets à l’idée d’héberger vos contenus sur une autre plate-forme, a justifié Reed Hastings. Mais quand votre croissance est forte, vous gagnez en confiance et comprenez qu’il y a moins de risque pour votre marque. Aujourd’hui, l’important pour nous est de faciliter l’accès à nos contenus pour tous les utilisateurs. »

Source : “Canal+ et Netflix s’allient pour doper leurs abonnements en France” – Les Echos – 17 septembre 2019

 

L’analyse : 

Perçus comme concurrents, Canal+ et Netflix ont décidé de s’allier. Un symbole qui démontre que même dans le numérique, l’union doit pouvoir faire la force.

Même les plus puissants ont besoin d’alliés. Au lendemain de  l’annonce du partenariat entre un Netflix en train de conquérir la planète et un  Canal+ perçu comme un groupe moribond sur son propre marché domestique, une conclusion s’impose : quelle que soit leur réussite, les champions du digital ne pourront pas tout faire tout seuls partout.

Netflix n’a, à première vue, guère besoin de s’appuyer sur Canal+. Capable de séduire sans intermédiaire des dizaines de millions d’abonnés dans le monde, l’américain qui produit ses propres séries a prouvé la pertinence de son modèle d’intégration verticale poussée à l’extrême. Et pourtant, il a décidé de s’appuyer sur un acteur du PAF aux allures de concurrent direct.

Si Reed Hastings a pactisé avec Vincent Bolloré, c’est que cette alliance peut être bénéfique pour les deux parties. Après s’être allié avec les opérateurs télécoms, le californien peut espérer toucher ainsi encore plus d’abonnés en s’associant avec un spécialiste de la télévision payante qui doit l’aider à séduire et à fidéliser des abonnés de plus en plus volatils. Confronté à l’émergence de nouveaux rivaux comme Amazon, Apple ou Disney qui parient eux aussi sur les séries, Netflix a besoin de continuer de croître . Et en promettant à ses clients qu’ils paieront moins cher et bénéficieront d’une offre plus simple que s’ils s’abonnaient directement à une multitude d’offres,  Canal + se réinvente en tant qu’agrégateur .

A l’image d’un Amazon qui plus tôt cette année a noué un partenariat avec Monoprix, dans bien des secteurs, les pères de la révolution numérique reconnaissent que l’union peut encore faire la force. Le digital a poussé les entreprises à miser sur des verticales, à devenir très fortes dans un métier puis à tirer parti de leur puissance en mondialisant leur offre. Cette stratégie efficace se heurte toutefois à deux limites. La première est que même si la stratégie peut être dirigée depuis un siège social américain, il faut ensuite disposer dans chaque pays d’équipes capables d’adapter l’offre et de stimuler la demande. Les vieilles multinationales ont mis des décennies à tisser une telle toile. Même les start-up qui vont vite manquent de temps. La seconde est que dans ce monde plein de spécialistes monothématiques, la vie des consommateurs se complexifie. Dans l’audiovisuel il faut ainsi s’abonner à de plus en plus de services pour pouvoir suivre le football ou toutes les séries. Pareil dans l’ecommerce ou le tourisme. Il y a, de ce fait, à nouveau la place pour des acteurs plus locaux capables d’agréger bien des services.  Reste à voir comment ces nouveaux alliés de circonstance se partageront les marges.

Source : “Netflix – Canal+ : mariage de raison” – David Barroux – Les Echos – 17 septembre 2019

Et aussi :

L’accord récent entre Canal et Apple pour distribuer la chaîne cryptée sur Apple TV (elle est aussi sur Android TV) ne laisse plus aucun doute, après ceux passés avec les « telcos » Orange et Free pour des minibouquets de chaînes : Canal n’est plus obnubilé par la maîtrise de ses équipements de distribution, c’est-à-dire de ses décodeurs (pour le satellite et la TNT), même s’il assure que le renouvellement du parc de ses 2 millions d’abonnés par satellite doit toujours commencer en septembre. Le groupe est prêt à aller chercher les clients « là où ils sont », dit Maxime Saada. Quitte à verser une commission à des tiers, ou à ne pas maîtriser l’ensemble de la relation client.

Le succès des nouvelles offres type Netflix en OTT (« over the top », c’est-à-dire sans décodeur, directement sur le Web) oblige tous les opérateurs traditionnels à réagir. « 2017 sera l’année de l’OTT », dit même Alain Weill, le DG de SFR Médias, en mettant en avant ses propres offres.

L’avantage principal de concentrer l’interaction avec ses clients sur l’interface MyCanal est de mieux mettre en valeur auprès d’eux le contenu de la chaîne. Netflix mobilise des centaines d’ingénieurs sur sa page d’accueil pour en modifier sans cesse la présentation et affiner son algorithme de recommandation. « Alors qu’autrefois la qualité du contenu suffisait, il faut désormais ajouter la qualité de l’expérience : plus l’abonné utilise Canal, plus il renouvelle son abonnement », dit le directeur marketing distribution, Guillaume Boutin. Avec MyCanal, le groupe espère qu’il sera évident pour l’abonné que Canal offre beaucoup plus de contenus que toute la concurrence OTT, en tout cas en France. « Nous n’avons pas de problèmes de prix, à la différence des bouquets américains qui proposent un abonnement à plus de 150 dollars par mois », en conclut Guillaume Boutin.

Source : “Quand Canal+ s’inspire du modèle Netflix” – Les Echos – 5 avril 2017