Matérialité de la ville intelligente : vingt mille fibres sous les mers

Les Echos de ce jour publient un passionnant article sur les câbles sous-marins qui permettent le bon fonctionnement du téléphone et d’internet.

Extraits :

“L’« Ile-de-Sein » –  c’est son nom –  est un navire câblier. Il sillonne la planète pour relier les continents avec des câbles de télécommunications, longs de plusieurs milliers de kilomètres, déposés au fond des océans. Sans que l’on s’en doute forcément, le bon fonctionnement de notre société de l’information dépend de cette infrastructure sous-marine : près de 99 % du trafic intercontinental, Internet comme téléphone, passe par ces câbles. On en dénombre 270 aujourd’hui. Si le boom des smartphones et de l’Internet mobile nous berce dans l’illusion d’un monde sans fil, où tout est accessible comme par magie, la réalité est tout autre : comme toujours dans les télécoms, c’est bien par des câbles que transitent les milliards de données échangées dans le monde. Et lorsqu’il s’agit de relier un continent à un autre, c’est sous la mer que cela se passe. (…) Le navire est en mission pour plusieurs semaines. Il doit poser une portion de la connexion en fibre optique qui doit relier la France à Singapour. Baptisé « Sea-Me-We 5 », le système, commandé par un consortium d’une quinzaine d’opérateurs télécoms, s’étend sur 20.000 kilomètres passant par la Méditerranée, la mer Rouge et l’océan Indien, avec des ramifications vers l’Italie, la Turquie, les Emirats, ou encore l’Inde. ASN est chargé de la pose entre la France et le Sri Lanka. C’est de là que l’« Ile-de-Sein » a commencé sa mission. Destination : Djibouti. Entre les deux, 5.300 kilomètres de câble à poser.

Le travail est minutieux. On ne pose pas un câble en fibre optique comme on jetterait une ancre. Le trajet est balisé. La topographie des fonds marins a été étudiée de façon très précise pour savoir comment effectuer la pose. Ces données ont d’ailleurs servi en amont pour la fabrication du câble. Plus le relief sous-marin est accidenté, plus celui-ci est épais car les couches de protection sont plus importantes. Il s’agit d’éviter tout risque de détérioration ou de coupure. Le danger est important à l’approche des côtes, où les fonds sont plus irréguliers et les attaques extérieures plus fréquentes (morsures de poissons, activités de pêche, ancres…). De la profondeur dépend aussi la vitesse d’installation des câbles. Paradoxalement, « dans les grands fonds, on peut poser jusqu’à 200  kilomètres par jour. Dans les eaux moins profondes, on est plutôt à 20 kilomètres par jour, car le travail est plus complexe, explique Philippe Kervella, le jeune capitaine de l’« Ile-de-Sein ». (…)

C’est à Calais qu’est fabriquée la majorité des câbles de télécommunications installés dans le monde. (…) Avec environ 400 salariés, ASN est l’un des principaux employeurs privés à Calais et fait vivre tout un écosystème de sous-traitants et de fournisseurs. Le site, créé en 1891 et installé en bordure de la ville, a traversé l’histoire des télécommunications et accompagné le développement de l’industrie au fil des décennies. Les premiers câbles télégraphiques apparaissent en effet dans les années 1850, avec des liaisons effectuées entre la France et la Grande-Bretagne. Suivent au début du XXe siècle les câbles sous-marins téléphoniques. Et c’est en 1956 que sera effectuée la première liaison téléphonique transatlantique (TAT-1). Les premiers câbles de fibre optique, eux, font leur apparition au milieu des années 1980.

>Malgré l’enjeu stratégique, les câbles sous-marins restent un marché de niche. Ils sont trois à se partager l’essentiel du gâteau : ASN (Alcatel-Lucent), TE SubCom (Tyco Electronics) et NEC. Orange est aussi présent via sa filiale Orange Marine, mais seulement sur la partie pose et maintenance. Le volume d’activité demeure limité, avec un marché évalué entre 2 et 3 milliards de dollars, rythmé par des cycles d’investissement plus ou moins longs. (…) Sur la douzaine de câbles qui relient l’Amérique à l’Europe, dix ont une quinzaine d’années d’existence. La simple maintenance ou l’amélioration de leurs performances ne suffira pas, il faudra en construire de nouveaux. Les besoins sont également importants dans certains pays d’Afrique, raccordés il y a quelques années seulement. Ces projets sont néanmoins coûteux, avec des contrats à plusieurs centaines de millions de dollars. Généralement, les opérateurs télécoms se réunissent en consortium pour commander un système de câbles qu’ils se partageront. Outre la demande, la clientèle évolue aussi. Les géants du Web s’intéressent de plus en plus aux câbles sous-marins. Google commence lui-même à passer commande pour sa propre infrastructure. (…) Microsoft et Facebook prennent aussi part à certains projets. «  Les Gafa ont une influence croissante sur le marché. Et leurs besoins peuvent être différents de ceux des opérateurs ».

Source : “20.000 fibres sous les mers – Les Echos – 14-1-2016