L’entreprise en paradoxes

Tel est le titre du dernier Mook (Book +Magazine) que viennent de publier les éditions Autrement.

Mook couverture, janv. 2012

“Ce Mook est bâti autour de quatre oppositions dialectiques qui sont autant de zones de frottement et de lignes de tension qui “travaillent” l’entreprise comme la société : croissance-développement durable ; court terme – long terme ; fermé-ouvert ; individuel-collectif”.

A l’intérieur du thème “développement durable”, on y trouvera notre article “La ville durable n’est pas gratuite”.

Mook, janv. 2012

Extrait :

“Pour illustrer mon propos, je te propose un cas pratique, celui d’une zone industrielle d’environ trois cent hectares, en bordure de Seine, à moins de cinq kilomètres du périphérique parisien, et qui sera demain formidablement desservie par les transports en commun, et notamment le futur métro du Grand Paris. Tout le monde s’accorde à considérer que cette zone est idéale pour réaliser plusieurs dizaines de milliers de logements – dont il y a aujourd’hui un besoin crucial. Problème : le coût initial pour transformer cette zone industrielle en une zone mixte avec du logement est très élevé : la puissance publique doit acheter les terrains pour recomposer une armature viaire urbaine, il faut dépolluer, relocaliser quelques grandes emprises industrielles, construire des ouvrages de franchissement de la Seine et des voies ferrées pour améliorer sa desserte. Qui doit financer ce processus de transformation cher mais hautement durable ?

La plus-value immobilière (qui correspond à la différence entre le prix de vente des logements ou des bureaux et le prix d’achat des terrains) peut sembler une source attrayante. Mais, en France, l’importance du droit de propriété explique que l’achat des terrains au propriétaire initial se fait à un prix élevé, alors même qu’on ne peut majorer indéfiniment le prix de sortie des logements ou des bureaux, sauf à se retrouver hors marché ou à n’attirer que les clientèles les plus solvables. Le risque est alors, en matière d’habitat, d’entraîner un phénomène de gentrification (« embourgeoisement »), qui se traduit par le départ des populations initiales les moins solvables – d’où des enjeux pour les populations les plus démunies mais aussi de paupérisation des classes moyennes ; et, en matière d’activité, de chasser en lointaine couronne les PME-PMI industrielles qui ne pourront guère supporter des niveaux de loyer plus élevés que ceux d’aujourd’hui – ce qui soulève des problèmes de temps de transport, d’emploi et d’efficience des filières de production.

Le financement par l’impôt est aussi une option, mais se heurte à des questions d’acceptabilité sociale et d’échelle territoriale : in fine, est-ce à l’habitant-contribuable local de la commune d’implantation de le financer ? Au contribuable régional ? Au contribuable national ? Aux contribuables des autres communes de l’Ile-de-France ? Ou bien, est-ce aux contribuables les plus riches de payer pour les plus pauvres, par exemple aux bureaux de payer pour les activités industrielles ? Enfin, le financement peut se faire en faisant payer les usagers (des ponts sur la Seine et sur la voie ferrée, du futur métro du Grand Paris), mais là aussi l’acceptabilité sociale n’est pas évidente. Cet exemple illustre en tout cas que penser le financement de la ville durable, c’est faire des arbitrages qui sont certes financiers mais avant tout politiques. C’est aussi permettre de vérifier, a posteriori, que les choix politiques qui ont été faits au nom de la ville durable permettent effectivement une telle ville. On peut multiplier les exemples (…)”.

Voir aussi le billet sur “la ville durable doit être rentable”