La ville saisie par le gratuit

Cette année, le cycle de l’IHEDATE a pour thème : “Géographie de l’argent”.  ibicity intervenait ce matin dans la session “la ville saisie par la finance”, coordonnée par Ludovic Halbert, sur un thème volontairement à contrepied : “La ville saisie par le gratuit“.

Accroche de l’intervention :

Ici, le maire de Dunkerque qui initie un mouvement de gratuité totale des transports en commun, ailleurs Google Maps qui fournit gratuitement des cartes des villes aux habitants, là, JCDecaux qui installe le WIFI gratuit sur les Champs-Elysées. Ces trois exemples ont en commun de témoigner d’un regain de la gratuité, dans la ville comme ailleurs (« Et si tout devenait gratuit ? » titrait le magazine Socialter en août 2019), mais se distinguent par le modèle de gratuité qui les sous-tend : dans le premier cas, une gratuité pour l’usager payée par le contribuable local, dans le second cas, une gratuité entre usagers, et, dans le troisième, une gratuité financée par les annonceurs.

L’objectif de cette intervention sera ainsi de montrer que les villes, qui ont toujours été de fait des plateformes de péréquation entre financeurs de la ville, sont aujourd’hui traversées par des évolutions qui bousculent les pratiques habituelles de leur financement et soulèvent une question éminemment politique : qui paiera la ville (de) demain ?

 

L’occasion de revenir sur les modèles de gratuité traditionnels dans la ville et les formes de la péréquation, puis sur les nouveaux modèles de gratuité permis par le numérique, et enfin sur des points de débat.

La vidéo de la conférence est en ligne sur le site de l’IHEDATE : ici.

En attendant, on peut relire nos précédents billets sur le sujet (tag “gratuit”) et/ou notre article sur le site de Futuribles en janvier dernier : Gratuité des transports en commun, péages urbains et gilets jaunes.

 

Addendum :

Le numérique permet de nouveaux modèles de gratuité qui sont notamment liés au fonctionnement des marchés bifaces : les plate-formes correspondent à un modèle où plus il y a de clients sur une face, plus cela génère de clients sur l’autre face. L’enjeu est alors, lorsqu’une des faces utilisatrices doit investir avant que l’autre ne soit présente sur le marché (ou encore, « quand l’œuf arrive avant la poule », comme l’exprime Jean Tirole), d’attirer rapidement un nombre élevé de clients dans chacune des faces de clientèle pour déclencher l’effet réseau. Une solution est alors d’offrir la gratuité pour une des deux clientèles, celle qui est la plus sensible au prix et qui a le pouvoir d’attraction le plus fort pour l’autre face (par exemple, Uber offre son service gratuitement aux voyageurs et facture une commission aux chauffeurs, ou d’offrir la gratuité aux deux clientèles dans un premier temps, puis faire payer l’une des deux dans un second temps (exemple : Booking). L’inconvénient de cette gratuité est qu’elle peut créer un déséquilibre concurrentiel entre les plate-formes et les sociétés concurrentes présentes sur le même marché de la face payante et qui ne peuvent proposer le même service gratuitement, ce qui pourrait conduire dans certains cas à des stratégies d’éviction de concurrents. Ainsi, de la même manière que les autorités en charge de lutter contre les pratiques anti-concurrentielles ont beaucoup de mal à apprécier ce type de modèle, de la même manière, on voit bien que gratuit et marchand ne sont plus antinomiques.

Sur ce sujet : « Economie du bien commun », de Jean Tirole ; « La gratuité, un concept aux frontières de l’économie et du droit », sous la direction de Nathalie Martial-Braz et Célia Zolynski – LGDJ – Lextenso Editions – 2013.