Financer la ville à l’heure de la révolution numérique (suite)

Après avoir été publié sur le site de la revue en février (ici), notre article dans la revue Esprit vient de paraître dans l’édition papier (numéro de juin 2017).

Esprit 2017

Extraits :

Les débats récurrents sur la crise des finances locales sont trop souvent réduits à une question de dépenses (Comment dépenser moins ?) ou de recettes (Comment préserver les dotations de l’État ? Faut-il augmenter les impôts locaux ?).

Raisonner ainsi, c’est oublier que dépenses et recettes sont avant tout fonction de ce qui dans le domaine de l’entreprise s’appelle la « proposition de valeur » et qui, dans le domaine de l’action publique locale, correspond à l’offre de services urbains.

C’est également ne pas tenir compte que la révolution numérique modifie de manière radicale le fonctionnement de l’économie, favorisant, à travers l’extension du champ du technologiquement possible, l’émergence de modèles économiques innovants.

Or, placée au cœur de l’action publique, la créativité en matière de modèle économique offre aux collectivités des opportunités très fortes pour repenser leur offre de services à moindre coût. En matière de mobilité, la somme des voitures individuelles partagées devient une nouvelle « infrastructure », qui, dans certains cas, peut s’avérer une alternative économique et efficace à la mise en place de nouvelles lignes de transport en commun. Dans le domaine de l’énergie, la capacité des consommateurs à devenir producteurs (via leurs ordinateurs, leurs panneaux photovoltaïques, leurs bâtiments à énergie positive, etc.) et à moduler leur consommation en temps réel permet de limiter les coûteux pics de consommation électrique.

Ainsi, les collectivités peuvent fortement augmenter l’efficience de leur offre de services urbains… à certaines conditions.

(…)

Les évolutions décrites ci-dessus témoignent que c’est en aval que se situe désormais l’essentiel de la création de valeur. La maîtrise de l’aval devient ainsi décisive pour optimiser l’offre de services urbains à moindre coût.

Elle permet d’abord de s’assurer que la collectivité qui organise le service atteint bien ses objectifs. D’une obligation de moyens, on passe en effet à une obligation de résultats : « Performance énergétique » et « économie circulaire » visent la réduction effective des consommations des ressources naturelles. De même, la réalisation d’espaces publics n’est n’a d’intérêt que si ceux-ci sont effectivement appropriés par les habitants.

La maîtrise de l’aval permet également à ceux qui vendent des services de proposer des offres plus adaptées aux attentes des consommateurs et à la demande. C’est vrai des entreprises comme des collectivités : elles peuvent avoir une connaissance plus fine des différents « clients » de leurs services (habitants, entreprises, touristes…). Elles peuvent connaître précisément leurs besoins, à l’instant t, comme leur capacité à contribuer financièrement au coût du service. L’optimisation des parcours de collecte de déchets en est un exemple : les dispositifs de télérelève des bacs rendent possible une planification optimisée des trajets des véhicules de collecte qui permet à la fois une meilleure rentabilité du service pour l’opérateur et une meilleure qualité du service pour l’usager.

L’activation de la « multitude », c’est-à-dire la capacité à mobiliser les usagers comme co-producteurs du service, permet quant à elle de jouer sur la structure de coûts en diminuant le besoin d’investissements. Selon l’exemple cité en introduction, les systèmes favorisant le covoiturage permettent de remplacer des bus à moitié vide ou des systèmes de transport à la demande. Il s’agit en quelque sorte d’une forme d’externalisation : la collectivité reporte sur l’individu la propriété du moyen de transport ainsi que sa conduite – à noter qu’à un niveau macro, cette pratique permet également d’intensifier l’usage de véhicules individuels qui sont inutilisés la plupart du temps.

L’activation de la multitude permet également d’ajuster en permanence l’offre et la demande de services urbains. Soit en jouant sur la demande, via le mécanisme de l’effacement. Comme pour l’énergie, et plus largement pour l’ensemble des systèmes de flux, la capacité à limiter les pics de circulation automobile via une meilleure information sur le trafic ou la capacité de report permet d’éviter la construction d’une nouvelle rocade sur un périphérique. Soit, par un mécanisme inverse, en jouant sur l’offre en mettant en vente la partie de l’infrastructure non utilisée – et donc en diminuant le dimensionnement de base et son coût. C’est l’exemple déjà cité de Zenpark qui permet d’utiliser les places de stationnement temporairement inutilisées, dans les parcs de stationnement publics comme privés, et permet ainsi de limiter le nombre de places de stationnement nécessaires. Là encore, le numérique n’est pas indispensable – le décalage du début des cours proposé par l’Université de Rennes est une forme d’effacement qui a permis de limiter la saturation de la nouvelle ligne de métro – mais il accentue ces possibilités d’ajustement entre offre et demande par cette capacité à produire des informations descendantes et remontantes, à la fois en temps réel et à grande échelle, et par les technologies qui facilitent l’utilisation partagée d’un même bien (par exemple l’ouverture des portes d’une voiture ou des barrières un parking par smartphone).

Lire également ici.

A lire aussi, notre précédent article dans la revue Esprit, sur “la nouvelle privatisation des villes”, paru dans le numéro de mars-avril 2011, numéro historique s’il en est puisqu’il publiait également un article signé Emmanuel Macron : ici.

Esprit 2011