Et si les présentations investisseurs étaient des lectures pour les sociologues ?

Le dernier “roadshow” de Nexity (octobre 2017) présente en tout cas (pages 83 et 84) deux schémas qui résument bien des évolutions.

Ce constat d’une plus grande élasticité de la taille du ménage se combine par ailleurs avec une plus grande élasticité des revenus et des statuts professionnels.Comme le rappelait André Yché, président du directoire de la SNI (ici) :

« L’économie du logement en France reste encore fondée sur un modèle d’emploi caractéristique de la seconde moitié du XXe siècle : 20 % d’emplois publics, 60 % d’emplois salariés privés, 15 % de professions indépendantes, le taux de chômage étant contenu autour de 5 %. S’agissant de location comme d’accession, le modèle est linéaire : le revenu du locataire, comme celui qui accède à la propriété, est supposé croître modérément et progressivement, sans fluctuation significative ». (…) Ce modèle perd du terrain. Une part croissante de la population active est en train de sortir du salariat : autoentrepreneurs, travailleurs intermittents, polyactifs… sont autant de statuts qui se développent rapidement. La linéarité des revenus est de moins en moins assurée ».

 

Ces évolutions ouvrent ainsi la voie à une conception du logement comme “service”, qu’on pourrait, par analogie avec “la mobilité as a service” (ici) schématiser comme cela :

Pour reprendre donc l’analogie avec le glissement serviciel de la mobilité , le « logement comme un service » correspondrait à un changement de finalité : il ne s’agirait plus de produire des mètres carrés mais d’activer des usages, ou un « service de l’habiter » qui comprendrait deux dimensions principales.

La première dimension s’inscrit sur la durée : une offre de « logement comme un service » viserait d’abord à permettre l’évolutivité dans le logement (ou l’activation de « trajectoires résidentielles », même si ce dernier terme semble assez fortement connoté chez les acteurs du logement), en permettant à un individu d’avoir à tout instant le logement adapté à ses besoins. Le métier de « producteur de logement comme un service » consisterait alors moins à produire des mètres carrés qu’à offrir à l’individu une agrégation, dans la durée, entre des fonctions qui jusqu’à présent étaient prises en charge directement par lui : recherche logement, revente ancien logement, négociation avec les banques, agent immobilier, notaire, etc. De même que, dans la mobilité, ce qui change, ce n’est pas le trajet que l’on fait, mais le service d’intégration de tous les modes que l’on utilise.

La deuxième dimension correspond davantage à un élargissement de l’offre « logement » par la composition d’un « bouquet de services » : il s’agirait d’abord de permettre à l’habitant d’avoir une intégration de fonctions : la connexion internet, l’abonnement au chauffage, la possibilité de se déplacer avec l’abonnement à un pass transport. Là encore, ces fonctions ne sont pas nouvelles, mais l’idée est que la nouveauté réside dans leur agrégation par un opérateur, qui peut les proposer via un abonnement, avec une offre qui évolue selon ses besoins dans le temps. On peut même aller plus loin en considérant que le bouquet de services liés au logement intègre un droit d’entrée à des équipements sportifs ou scolaires ou culturels.

Quelles que soient ses modalités précises, on objectera que le logement n’est pas qu’un bien comme les autres, et qu’outre sa dimension affective, il constitue une réserve de valeur financière. Mais une telle offre n’aurait pas vocation à constituer la totalité de l’offre et peut représenter une offre parmi d’autres, qui aurait surtout vocation à répondre à des besoins temporaires. Le développement des Organismes de Foncier solidaires peut sans doute permettre aussi un élan à ce type d’offres. Surtout, cette hypothèse du glissement serviciel nous paraît intéressante à creuser pour plusieurs raisons :

1. Elle permet plus fondamentalement de questionner la fonction « logement », inhérente à l’idée de « nouveaux usages ».

2. Elle permet de penser différemment la question de l’évolutivité des logements. Par exemple, à l’heure où beaucoup de concepteurs et opérateurs travaillent sur la modularité physique du logement, il a été formulé le “constat que les logements agrandissables ne fonctionnent pas”. Cela signifierait bien que l’objectif de faciliter les trajectoires résidentielles ne peut être résolu via le produit physique logement (par exemple par une certaine hauteur sous plafond), mais doit être pris en charge autrement, via donc le logement comme un service. De même l’idée du « bouquet de services logements », plus riche que celui que l’on pourrait trouver dans le péri-urbain, permettrait de concurrencer les maisons avec un jardin.

3. Elle invite à déplacer un peu le raisonnement, et à basculer d’un raisonnement sur le logement comme produit (i.e. un certain de nombre mètres carrés à un endroit avec certaines caractéristiques) à une solution proposée à l’habitant pour se loger à instant t (qui passe soit par une manière de penser le logement comme quelque chose d’élargi à des services supplémentaires comme l’accès aux bons équipements publics, soit par une offre de solution qui s’adapte en fonction du parcours de vie de la personne (je vous vend un T2 mais dès que vous avez deux enfants, je m’engage à vous proposer un T4 sur la zone), …).

4. Si on raisonne usager, locataire et propriétaire sont à la même enseigne.

5. Enfin cette approche permet de repenser la chaîne de valeur des différents acteurs de l’immobilier et invite à élargir le champ des partenaires, y compris peut-être en travaillant différemment avec les investisseurs, et notamment les acteurs de la défiscalisation. Guillaume Pépy affirme (ici) :

“Le covoiturage n’est pas notre ennemi. Nous faisons le même métier, celui de la mobilité partagée, et nous avons le même adversaire : l’usage individuel de la voiture »

En le paraphrasant, et en étant volontairement provocateur, on pourrait affirmer :

“La défiscalisation n’est pas notre ennemi. Nous faisons le même métier, celui de l’habitat collectif, et nous avons le même adversaire : la maison individuelle” !

Derrière cette provocation (les conséquences négatives des mécanismes de défiscalisation sont bien documentées), il s’agit d’appeler à des pratiques plus inventives qui concilient logiques financières et qualité urbaine. A bon entendeur !

 

Ces réflexions ont largement été élaborées en lien avec nos partenaires “recherche” (Partie Prenante et Espelia, dans le cadre de notre étude sur les nouveaux modèles économiques urbains) et “opérationnels” (Le Sens de la VilleUne autre VilleNova7) dans le cadre d’une mission pour la SAMOA sur les nouveaux usages dans les opérations immobilières de l’Ile-de-Nantes). On en profite pour leur redire le plaisir que l’on a de travailler avec eux.

A lire également nos précédents billets :
– Lorsque la ville devient comme un service
– Immobilier : de la production de mètres carrés à l’activation des usages”
– (le logement autrefois) Aubervilliers vu par Jacques Prévert

Et notre futur billet :

Vers “le logement as a service” ?