A Toronto, l’abandon du projet “Google City”

A lire ce jour dans Les Echos l’article que Benoît Georges consacre à l’abandon du projet de Sidewalk Labs à Toronto : ici.

Extraits :

Des feux tricolores qui s’adaptent en temps réel à la circulation. Des portions de rues réservées aux véhicules autonomes. Des trottoirs et des pistes cyclables chauffés en hiver. Des robots souterrains chargés d’assurer la gestion des déchets ou l’acheminement des colis. De grands immeubles, construits en bois, économes en énergie. Et, partout, des antennes Wi-Fi et des capteurs pour récolter et analyser en permanence les données urbaines, qu’il s’agisse de flux de cyclistes ou de piétons, de consommation d’eau ou de remplissage des poubelles.

Voilà à quoi aurait dû ressembler, à l’horizon 2025, le quartier high-tech imaginé à Toronto par Sidewalk Labs, la branche de Google spécialisée dans l’innovation urbaine. Une « Google City » digne d’un film de science-fiction, qui a mobilisé pendant près de trois ans des centaines de personnes… mais qui ne verra jamais le jour.

Le jeudi 7 mai, le PDG de Sidewalk Labs, Daniel Doctoroff, a annoncé, dans un texte publié sur le site Medium, qu’il jetait l’éponge « avec une grande tristesse personnelle et une grande déception ». Officiellement, ce projet d’urbanisme futuriste, le premier au monde confié à un géant d’Internet, est une victime collatérale de la pandémie de Covid-19. « Une incertitude économique sans précédent s’est installée dans le monde entier et sur le marché immobilier de Toronto et, par conséquent, il est devenu trop difficile de rentabiliser [ce] projet […] sans sacrifier des éléments essentiels du plan que nous avions élaboré », explique Doctoroff.

Mais les problèmes de cette filiale d’Alphabet, la maison mère de Google, sont bien antérieurs à l’apparition du virus. Le projet avait été retardé à plusieurs reprises, sous la pression de la population et des milieux économiques locaux. En octobre dernier, Sidewalk Labs avait déjà dû revoir ses ambitions à la baisse, à la demande de Waterfront Toronto, l’agence chargée de revitaliser les friches industrielles des bords du lac Ontario. La date butoir avant de lui confier les clés du chantier avait été reportée au 31 mars 2020, puis au 31 mai, en raison du confinement. Finalement, Google a préféré abandonner…

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La filiale de Google a d’abord choisi de rétropédaler. Le 31 octobre, elle a annoncé qu’elle révisait ses ambitions à la baisse : retour au périmètre initial de 5 hectares, limitation du rôle de Sidewalk Labs, et reprise en main de la gestion des données par Waterfront Toronto. Au passage, elle avait même abandonné son concept d’Urban Data Trust, et garanti que les informations personnelles seraient stockées au Canada… Un sacré désaveu pour la filiale d’Alphabet, d’autant que toutes ces concessions ne garantissaient pas le démarrage du projet : une nouvelle date butoir avait été fixée au printemps 2020, le temps que les deux parties s’accordent. A l’époque, déjà, dans un entretien cité par le quotidien « Globe and Mail », Dan Doctoroff n’excluait pas de tout abandonner si les nouvelles conditions n’étaient pas financièrement viables, ou s’il ne parvenait pas à développer une « masse critique » d’innovations.

Entre-temps, le coronavirus, et la crise économique sans précédent qui devrait l’accompagner, sont venus fournir une porte de sortie à Sidewalk Labs. « Bien sûr, il y a de grandes incertitudes sur la manière dont le secteur immobilier va être impacté, mais je pense qu’ils l’utilisent aussi pour se retirer d’un projet qui était, de toute façon, mal parti », estime Cécile Maisonneuve. Une analyse partagée par Carlo Ratti, du MIT : « Le Covid-19 a rendu les choses plus incertaines, mais le changement majeur remonte à plusieurs mois, quand la ville n’a pas donné son accord à tout le périmètre, mais seulement à la première phase, plus petite. C’est là que l’équation économique est devenue plus compliquée. »

Reste à savoir ce que deviendra l’immense friche industrielle en bord du lac Ontario. Jeudi dernier, Waterfront Toronto s’est fendu d’un bref communiqué expliquant que « ce n’est pas la fin de Quayside, mais le premier jour de son futur. » Un futur sur lequel l’agence ne donne encore aucun détail. Un de ses porte-parole indique que «les objectifs de long terme n’ont pas changé pour le quartier», ce qui va obliger à repartir en quête de nouveaux partenaires privés.

Quant à l’avenir de Sidewalk Labs, et plus largement aux ambitions de Google dans les données urbaines, tout ne va pas s’arrêter avec cet échec, affirme Dan Doctoroff. Dans son message du 7 mai, il indiquait que « l’urgence sanitaire actuelle nous fait sentir encore plus fortement l’importance de réimaginer les villes. »

 

L’article revient aussi sur l’expédition urbaine organisée à Toronto en septembre dernier par La Fabrique de la Cité (ici), avec un certain nombre de tables-rondes, dont une que nous avions modérée (ici).

A lire également l’article du PDG de Sidewalk Labs dans Medium le 7 mai annonçant la fin du projet : ici.

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