Les villes-efflorescentes

A lire, le numéro que Le 1 publie sur les villes : ici.

En particulier, on aime un joli texte de Pierre Ducrozet, dont l’écriture ressemble aux lianes qu’il décrit : “les villes-efflorescentes”.

Extrait :

Cela faisait bien longtemps déjà que les villes ne suivaient plus nos désirs de hauteur et de domination, mais plutôt ce que les écosystèmes naturels avaient élaboré de plus complexe au cours des milliards d’années d’évolution, tous les mélanges, réseaux et métissages. Nos villes se déployaient à présent à l’horizontale, se ramifiaient comme des toiles, des rhizomes, des efflorescences, de tous les côtés à la fois, plus de pyramides, de tours, et autres dualismes qui nous avaient pourri l’âme. On n’essayait plus de toucher le ciel (à quoi bon, il nous était déjà tombé dessus), on voulait désormais mêler racines et métaux, lumières et cascades, dans une nouvelle alliance des matières et des formes.

La grande bascule bioécologique se poursuivait, bien sûr, mais les sociétés donnaient la sensation d’en avoir pris la mesure. Dans un brusque et inattendu retournement de paradigme, les villes étaient devenues humbles, fragiles, poreuses ; on avait été tenu d’abandonner l’idée d’une société pérenne, d’un château imprenable (c’était bien la meilleure chose qui nous soit arrivée), et on était revenu à des radeaux multiples, mobiles, aux aguets. On cessa de vouloir quadriller, on décida de se fondre dedans, d’instaurer une manière éphémère et légère d’habiter le monde.

Pour faire ville on se faisait tubes, lianes, lichens, on pollinisait.

Chaque forme de ville était unique en son genre, suivant le mouvement que les éléments eux-mêmes lui soufflaient à l’oreille. Certaines bouclaient comme des cheveux, s’emmêlaient comme des racines, s’associaient comme des synapses. Le bâti se mêlait aux bosquets, les abeilles et les rapaces avaient depuis longtemps réinvesti les villes, la brique et le béton avaient cédé le pas à la paille, à la mousse et au plastique recyclé.