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Nous avions déjà évoqué ici le paradoxe de la ville intelligente. Nous y revenons dans le Cercle des Echos (ici) à l'occasion du Forum Innovative City qui s'est tenu hier et avant-hier à Nice. Ci-dessous notre tribune.

xerox, juin 2014

La « ville intelligente » est décidément à la mode. Le forum « innovative city » qui s'est tenu cette semaine à Nice en témoigne. Mais il témoigne surtout d’un paradoxe : alors que l’intervention des entreprises privées dans les métiers traditionnels des villes – comme la fabrique des projets urbains ou encore la gestion de l’eau ou des transports – est souvent fortement décriée, a contrario, l’hégémonie des acteurs privés dans la fabrique de la ville intelligente est rarement questionnée.

On peut avancer deux explications : d’une part, la « smart city » n’est pas - par la force des choses - une compétence historique des collectivités. D’autre part, elle est aujourd’hui principalement abordée par le prisme technologique, et se réduit bien souvent à un catalogue de capteurs, compteurs « intelligents », maquettes numériques et autres produits « innovants ». Nombre de responsables locaux ne se sentent ainsi pas concernés. Ils devraient ! Le véritable défi est en effet celui de la manière dont les collectivités gardent le contrôle de la fabrique de la ville.

vinci sodetrel, juin 2014

Car la ville saisie par la révolution numérique est d’abord une ville coproduite : les nouvelles technologies créent de nouvelles étapes dans les chaînes de valeur qui permettent l’arrivée de nouveaux entrants, tandis que le croisement entre secteurs (par exemple entre l’énergie et l’immobilier, ou entre l’énergie et la mobilité, ou entre l’immobilier et la mobilité) se développe sous l’effet aussi de l’impératif de la ville durable et de la montée en puissance de l’usager-utilisateur-consommateur. Le secteur du stationnement est révélateur. Vinci Park et Sodetrel, filiale à 100% d’EDF, viennent ainsi de signer un partenariat pour le déploiement de bornes de rechargement électrique en libre-service dans les parkings Vinci, tandis que leader mondial des systèmes de gestion de parking est… Xerox (les photocopieurs !), qui a fait le choix stratégique de se transformer d’un fabricant en un prestataire de services externalisés. Dans le même temps, le développement des objets connectés ou M2M (« machine to machine ») fait apparaître toute une série d’intervenants, starts-ups ou grands groupes, depuis ceux qui produisent les puces qui équipent les parkings (Telit, ST-Ericsson,…) jusqu’à ceux qui fournissent les systèmes d’information (IBM, Cisco, Accenture….), en passant par ceux qui assurent la connectivité (Orange, SFR,…).

Ces exemples sont significatifs de ces recompositions qui sont à l’œuvre dans le secteur du stationnement, mais plus largement dans l’ensemble des secteurs de la chaîne de production et de la gestion du bâti, des infrastructures et des services urbains. Les activités créatrices de valeur sont recomposées entre les entreprises du secteur, et de nouveaux spécialistes, mais aussi de nouveaux entrants issus d’autres secteurs, apparaissent à chaque étape de la chaîne de la valeur ajoutée. Les modes de faire évoluent vers davantage de coproduction, à la fois privée-privée et publique-privée, et la question-clé est alors celle de la manière dont chaque acteur s’organise pour garder la maîtrise de sa création de valeur.

Cette question interpelle évidemment les opérateurs privés, qui doivent adapter leur stratégie pour garder un avantage concurrentiel. Mais elle interpelle bien davantage les collectivités locales elles-mêmes. Par exemple, que doit répondre une collectivité à un opérateur de stationnement (potentiel délégataire de service public et/ou potentiel constructeur-investisseur) lorsque celui-ci prend argument du développement des logiques de partage pour militer par exemple pour que dans chaque ville il y ait un acteur unique qui puisse gérer de façon fine l’offre de stationnement ? Surtout, comment le public renouvelle-t-il ses modes d’action pour contrôler ce processus de fabrication de la ville devenu très complexe ?

Et si le terme « ville intelligente » était un euphémisme pour désigner un modèle urbain bouleversé par la révolution numérique, mais aussi par la crise financière et l’impératif de la ville durable ? Assurément, il s’agit d’un sujet qui interpelle les collectivités locales sur leur rôle et leurs modes de faire. Il serait tout aussi inepte de donner les clefs de la ville intelligente aux acteurs privés que de vouloir la faire sans eux.

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